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nation qui, pendant plusieurs siècles, a vainement lutté pour ressaisir sa nationalité. » Ces signatures de l’Europe étaient enfin arrivées, mais la ratification russe contenait une réserve qui pouvait offenser la Belgique. Van de Weyer, pressé par lord Palmerston, avait déjà une fois assumé une grande responsabilité ; il avait signé sub spe rati la convention des forteresses, parce que les plénipotentiaires des cours du nord avaient déclaré qu’ils ne signeraient le traité de reconnaissance (dit des vingt-quatre articles) qu’après avoir obtenu son adhésion. Il avait écrit au roi : « A la lecture de la pièce qu’on offrait à ma signature, je vis des choses trop utiles et trop importantes pour que je ne saisisse pas avec empressement l’occasion de les constater par écrit : d’abord une nouvelle consécration de la reconnaissance, en second lieu la déclaration que sa majesté succède à tous les droits du roi de Hollande. » Cette fois on lui demandait de ratifier au nom de la Belgique un traité que la Russie ne ratifiait que conditionnellement[1]. Il se trouva dans la dernière perplexité ; le ministère de lord Grey était très menacé, les tories pouvaient d’un jour à l’autre revenir aux affaires et inaugurer une politique orangiste. Il était sans instruction pour un cas aussi délicat, il signa. Le même jour, il écrivait au roi : « Je sens bien, sire, que toutes les déclarations du monde ne valaient pas une ratification pure et simple, la seule que votre majesté était en droit d’attendre ; mais rejeter l’acte de la Russie aurait les plus graves inconvéniens ; je tiens à la voir liée sur les quatre grands points de notre existence politique : la reconnaissance de votre majesté, celle de notre indépendance, de notre neutralité et du territoire assigné à la Belgique ; le reste de l’édifice s’achèvera non sans peine, mais sans difficultés fondamentales. »

Qui oserait dire aujourd’hui que van de Weyer eût tort ? Que sont devenues les réserves de la Russie ? L’édifice a été achevé, et van de Weyer eut l’honneur d’en poser la première pierre. Il n’y eut pourtant qu’un cri contre lui au premier moment. Le roi Léopold lui-même écrivit le 12 mai à M. Lehon : « La ratification russe, avec les réserves qu’elle contient, a fait un très mauvais effet ici ; je dois dire que j’en ai été très peiné, puisque j’y voyais quelque danger pour le traité même. M. van de Weyer a peut-être bien fait de l’accepter, mais il agit contre ses instructions en ne demandant pas des instructions avant que d’échanger. Je l’ai appelé ici pour qu’il se justifie. » Van de Weyer avait en réalité tiré la Belgique

  1. La Russie avait inséré ces lignes : « sauf les modifications et amendemens à apporter, dans un arrangement définitif, entre la Hollande et la Belgique. » Les plénipotentiaires russes déclarèrent verbalement que cet arrangement définitif devait être un arrangement de gré à gré.