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Grande-Bretagne et avec l’Europe ; il espérait rendre Anvers presque imprenable et donner ainsi aux puissances le temps de concentrer leur action. Au fond de son cœur, Léopold ne comptait guère que sur l’Angleterre ; il s’enfermait en pensée avec son armée derrière les murs d’Anvers, et voyait arriver la flotte anglaise dans l’Escaut.

Van de Weyer surveillait avec un soin jaloux toutes les péripéties de la politique impériale ; en face d’un joueur couronné qui tentait nonchalamment le destin, il voyait, non sans inquiétude, d’autres esprits, également aventureux, plus ardens, plus obstinés, disposés à faire servir le trouble de l’Europe et du monde à des desseins encore obscurs. Il s’irritait secrètement de voir l’Angleterre se préparer au rôle de témoin dans les grands drames dont l’exposition commençait.

Sa colère fit enfin explosion. M. Cobden écrivit le 24 août 1862 à un journal belge une lettre sur les fortifications d’Anvers. « Si j’étais, disait-il, roi des Belges, je dirais à mes puissans voisins : Vous avez proclamé ma neutralité, et j’entends donner à mon peuple le bénéfice de cette situation en en faisant la communauté la plus légèrement taxée et la plus prospère de l’Europe… Or le meilleur moyen de lui procurer ces bienfaits, c’est d’éviter le fardeau des gros armemens… Tel est mon programme politique, et je ne conçois pas qu’un homme d’état puisse agir autrement. » Van de Weyer retrouva la plume de Paul-Louis Courier pour répondre à l’apôtre de la paix à tout prix ; son petit pamphlet, Cobden, roi des Belges, est un chef-d’œuvre d’ironie ; il est pathétique en même temps, on y sent vibrer cette indignation qui fait les poètes, au dire d’un ancien. Retranché derrière l’anonyme, van de Weyer ose dire la vérité ; il sait qu’en politique comme en toute chose on ne s’appuie que sur ce qui résiste. « Aide-toi, l’Europe t’aidera, » dit-il à son pays. « La seule chance qu’ait la Belgique de perdre sa nationalité, écrivait Cobden, c’est d’être annexée à la France, et de nos jours ce n’est plus l’habitude d’annexer des provinces sans le consentement de leur population. » Van de Weyer rappelle comment le consentement des populations fut obtenu par la révolution française, peint les souffrances de la Belgique pendant la république et l’empire. « Elle, dit-il, si fière de ses institutions, de ses antiques libertés communales et provinciales, de ses mœurs, de ses habitudes, de son indélébile caractère national, elle qui avait été hypocritement conviée à user, pour son indépendance, de la souveraineté du peuple hautement reconnue, se voit enlever jusqu’à son nom, et par la conscription elle alimente de ses fils, qui ne sont plus Belges, les bataillons mutilés sur tous les champs de bataille pour une cause qui n’est pas la sienne, qui n’est pas même celle de la France, » Avec quelle hauteur il flétrit la politique mercantile,