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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/410

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chercher les Espagnols au centre même de leur puissance coloniale, de les aller chercher dans le Pacifique en franchissant le détroit périlleux que ceux même qui l’avaient découvert s’étaient empressés d’abandonner. Surprendrait-on ainsi les conquérans du Pérou et du Chili, les possesseurs de ces mines dont la richesse venait de bouleverser le système économique de l’Europe ? La chose était au moins probable, car les Espagnols ne pouvaient guère soupçonner une telle témérité, mais il faudrait revenir du Pacifique, et au retour l’agresseur devait s’attendre à trouver les conquérans qu’il comptait dépouiller assemblés en force pour lui barrer le passage. Quand on combat, comme Drake allait combattre, avec la corde au cou, qu’on ne peut se promettre ni merci ni pitié, il est bien permis de songer à la façon dont on opérera sa retraite. Drake ne désespérait pas de rejoindre Forbisher à travers le continent américain. Il se proposait de pousser, au sortir du détroit de Magellan, droit au nord, de suivre ainsi la côte jusqu’au point où devait exister la rupture que Forbisher cherchait du côté de l’Atlantique. S’il ne la trouvait pas, il reviendrait, à l’instar de Sébastien del Cano, par le Cap de Bonne-Espérance. Tout était donc prévu dans ce dessein d’une audace si grande, tout, excepté des misères et des contrariétés que ne connut pas Magellan lui-même.

Drake avait rassemblé quatre navires dont le plus fort jaugeait à peine 100 tonneaux. Avec ces quatre navires et pour éclairer leur marche, il emmenait aussi une pinasse, — autant vaudrait dire une embarcation pontée. On appelait cela au XVIe siècle une escadre, et celui qui commandait en chef prenait sans hésiter le titre d’amiral, Le vaisseau que montait Drake s’appelait le Pélican ; Drake lui donna plus tard le nom de Golden-Hind, — la Biche d’or.

Le 13 décembre 1577, l’escadre partit de Plymouth ; le 25, elle mouillait sous l’île de Mogador. On naviguait alors par petites étapes, et on saisissait la côte, dès qu’on pouvait s’en rapprocher sans trop allonger sa route. Le 30 janvier 1578, les Anglais rencontrèrent près des îles du Cap-Vert un navire portugais chargé pour le Brésil. Tout navire sorti des ports de la péninsule, on pourrait presque dire tout navire étranger, était facilement réputé par les corsaires anglais de bonne prise. L’animosité mutuelle des deux races, l’antipathie des deux religions, ne se seraient peut-être pas manifestées avec autant d’énergie, si les galions eussent été moins richement chargés. Drake s’empara sans scrupule du bâtiment que la fortune envoyait sur sa route. Il n’y trouva pas seulement une cargaison de beaucoup de valeur, il y trouva, ce qui était infiniment plus précieux, un excellent pilote de la côte du Brésil. On ne possédait en 1578 aucune carte de cette partie du Nouveau-Monde. Ceux qui auront par hasard jeté les yeux sur les croquis qu’élaborait à la