Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Élisabethpol et de Bakou, elle a été longtemps et serait encore un des principaux centres commerciaux du Caucase sans les tremblemens de terre qui la condamnent à une ruine périodique. La dernière secousse, qui date de dix-huit mois à peine, a jeté à bas la moitié des maisons ; la plupart n’ont pas été relevées. La vie semble s’être retirée pour toujours de ces rues jonchées de décombres où toutes les variétés du lézard ont élu domicile. Seul le bazar conserve encore quelque animation, pâle reflet en somme de celui d’Élisabethpol.

Schoumaka n’est guère qu’à une journée de poste de Bakou. La route, plate et boueuse au début, dès le second relais commence à courir à travers des steppes sablonneuses où s’annonce le voisinage de la mer Caspienne. Je ne sais s’il existe au monde un pays plus nu, plus pelé, plus abandonné du ciel et des hommes.. Les environs de la Mer-Morte peuvent seuls rivaliser avec cette désolation. Encore y a-t-il une sorte de poésie sauvage dans ces déserts peuplés des souvenirs bibliques où, avec un peu de bonne volonté, l’imagination du touriste croit retrouver à chaque pas le cachet de la malédiction divine. Ici rien de pareil. Une succession de collines grisâtres que ronge comme une lèpre une herbe épineuse ; çà et là quelque flaque d’eau saumâtre produite par les infiltrations de la Caspienne. Le sable partout ; rien de grand, rien qui impose.

Adossé à ce désert de sable, Bakou disparaît au fond du golfe où il s’abrite. Le quartier tatar, que traverse tout d’abord le voyageur venant de Schoumaka, ne se révèle guère comme le faubourg d’une ville appelée à un grand avenir. Une série de rues étroites où croupit une eau vaseuse, des maisons basses et d’aspect malpropre où la boue remplace le mortier, des terrasses où s’empilent des mottes de bouse de vache, combustible économique des ménages pauvres, pour fenêtres de petites meurtrières s’ouvrant sur des murs de terre, l’ensemble est sale et repoussant. C’est le Bakou asiatique, le Bakou des Tatars, des Arméniens, des Persans, resté tel qu’il était le jour où la Russie l’a arraché à ses maîtres d’autrefois. Le Bakou d’aujourd’hui, celui de demain surtout, est plus loin, sur la plage, le long du quai où s’alignent les constructions européennes, autour du port où se rangent les vaisseaux de commerce, près de l’arsenal où la flotte du tsar répare ses bâtimens de guerre, — car Bakou possède tout cela. Tout cela est sorti peu à peu, pierre par pierre, comme par enchantement, du sable de la Caspienne, grâce à cette volonté patiente et sûre d’elle-même qui enfante à la longue, au profit de la Russie, les miracles autrefois réservés à la lyre d’Amphion.

Bakou justifie pleinement ces dépenses exceptionnelles. Nous