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« Il se releva joyeux. — Viens donc où brille le doux soleil pour que nous prononcions les paroles sacrées. — Cependant, lorsqu’il vit les yeux de Walburge attachés sur les siens avec une expression de tendresse ineffable, il changea de contenance, le chagrin envahit de nouveau son cœur, et il s’écarta. — En vérité, s’écria-t-il, je mérite bien de vivre avec les loups. N’allais-je pas condamner la fille de mon ami mort aux horreurs de la vie sauvage ? J’ai oublié ce que je suis… Je fus un guerrier, aujourd’hui je ne suis plus qu’une ombre maudite. Il est dur, Walburge, de devoir éviter partout le feu et la fumée, plus dur encore de fuir loin des yeux de tout passant, ou de s’attendre à un combat sans colère et sans haine, uniquement parce que l’autre frappe sur le proscrit comme sur un chien enragé. Ce qui est plus dur encore que le danger de la vie et le meurtre sans gloire dans l’épaisseur des bois, c’est de devoir se cacher comme un lâche et de vivre honteusement comme un monstre tapi sous les broussailles. Une pareille ignominie m’est insupportable, et le seul remède, c’est de finir promptement l’épée à la main. Walburge, si tu veux me prouver ton amour, va dire à celui qui fut mon serviteur qu’il m’amène un cheval sellé pour que j’aille chercher ma dernière vengeance. — Et, se jetant contre terre, il se cacha le visage dans la mousse.

« Walburge sentit son cœur battre d’angoisse, mais elle se contint pour remonter le courage du malheureux. Assise près de lui, elle relevait les boucles mêlées de sa chevelure. — Veux-tu donc faire comme si personne dans le pays ne songeait à toi ? On a vu plus d’un condamné obtenir sa grâce, quand la première colère était passée. Plusieurs ont regretté la sentence rendue contre toi. Le seigneur Winfried a intercédé pour toi près du comte.

« — Ne me dis pas cela pour me consoler, interrompit Ingram avec colère, cette intercession m’est odieuse, je déteste tout service que ce prêtre pourrait me rendre. Du premier jour que je l’ai vu, il a voulu disposer de moi comme d’un valet et se servir en sournois de toi comme de moi. Quand j’appris le jugement qui me frappait, j’eus meilleure opinion de lui, tout en le haïssant toujours. Je me disais qu’il avait après tout le sentiment viril de la vengeance ; mais sa compassion, je ne puis la supporter, je veux rester son ennemi.

« Walburge soupira : — Tu as beau l’injurier, il fait pourtant ce que sa foi lui ordonne, il fait du bien à ses ennemis. — Peut-être, chrétienne, viens-tu aussi me faire du bien selon ta foi, tout en me méprisant en toi-même. — Walburge lui donna un léger coup sur la tête. — Tu as la tête dure, dit-elle, et les pensées injustes. — Puis, l’embrassant sur le front, non-seulement, continua-t-elle,