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d’ajouter que de vingt et un ans à vingt-cinq la raison a mûri par l’âge, par l’expérience, par l’épreuve, de façon à donner à tous les actes de sa vie, particulièrement de sa vie politique, le caractère de réflexion, de liberté, de pleine possession de soi-même qui manque encore à l’extrême jeunesse ? Nous persistons donc à penser, abstraction faite de tout intérêt de parti, que l’institution elle-même du suffrage universel ne pouvait que gagner à une pareille réforme. Quel parti eût-elle favorisé ? La commission ne s’en était nullement préoccupée. Elle n’a songé qu’à donner à l’institution fondamentale du pays une garantie de plus de sagesse et d’indépendance, et elle pouvait d’autant mieux le faire que cette disposition ajournait pour tous l’exercice du suffrage universel sans toucher au droit de personne.

Nous avons peu de chose à dire sur la durée du domicile, si l’assemblée la fixe à deux ans, comme dans la loi électorale municipale. Avec M. Dufaure, qui avait fixé ce terme dans sa loi, nous pensons que c’est un maximum qui ne pourrait être dépassé sans porter une grave atteinte à l’intégrité du suffrage universel. Il nous paraît même que ce chiffre de deux années, qui se justifie pour l’électorat municipal, n’a plus la même raison pour l’électorat politique. On comprend fort bien que, pour être électeur municipal, il faille avoir en quelque sorte pris racine dans la commune qu’on habite, que, sans y avoir de propriété, on y ait pourtant des intérêts communs avec les électeurs propriétaires ; mais, s’il s’agit de voter pour les intérêts de la grande cité qui s’appelle la France, qu’est-il besoin des garanties réclamées pour la bonne gestion des affaires municipales ? Six mois, un an au plus, n’est-ce pas suffisant pour établir l’identité et la capacité de l’électeur, surtout avec un registre d’inscription bien dressé et bien tenu ? Si nous ne prononçons pas le mot de moralité, ce n’est pas qu’il ne nous soit très sympathique ; c’est que nous craignons qu’on n’abuse du sens vague et de la dangereuse portée de ce mot. Dans un pays où tant d’honnêtes gens confondent la religion avec la morale, où tant de conservateurs effarés ne sont jamais rassurés sur la moralité de citoyens qu’ils ne trouvent point à côté d’eux à l’église, au temple ou à la synagogue, comment introduire un pareil mot dans la loi, quand d’ailleurs il est si difficile de déterminer le degré de moralité nécessaire à l’exercice du droit électoral ? Il vaut mieux s’en tenir aux cas de flagrante immoralité énumérés par toutes les lois de ce genre.

On croit avoir tout dit lorsque, pour justifier une exclusion, on a prononcé le mot de nomade. Il faut y prendre garde, et nous craignons que la commission n’ait trop cédé à une prévention. Nomade n’est pas du tout synonyme de vagabond. Combien d’honnêtes ouvriers, pères et bons pères de famille, que leur métier oblige à