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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/628

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renfort en maçonnerie qui depuis trois siècles n’avait pas bougé, et dont l’aplomb parfaitement conservé semblait indiquer que le mouvement des murs était arrêté. Peu nous importe du reste : la décision de semblables questions est une affaire d’architecte ; nous voudrions seulement qu’en cette épineuse matière on fût mieux protégé contre les erreurs individuelles ou les entraînemens collectifs de l’esprit de corps. Un fait assez curieux confirme nos appréhensions. Il est passé par Évreux, au moment où l’on commençait les travaux de démolition, une nombreuse troupe d’architectes et d’archéologues anglais venus en France pour étudier nos églises gothiques. « Croyez-vous, leur demanda leur guide en leur montrant la voûte de la nef, croyez-vous que cette voûte puisse être conservée ? » La question leur parut si singulière qu’il fallut la leur répéter. « En Angleterre, répondirent-ils, on ne douterait pas que la réparation ne fût possible, et l’opinion publique ne permettrait point la démolition. » En France, les choses vont autrement, et dans le domaine de l’art, comme dans celui de la politique, l’opinion n’a pas le même empire.

Ce n’est pas seulement l’archéologie et l’histoire qui réclament des enquêtes sévères, un contrôle sérieux sur la reconstruction de nos églises, ce sont les finances, c’est la grande victime de toutes nos fantaisies administratives, le bouc émissaire de toutes nos fautes, le budget. Une réédification générale est toujours bien autrement dispendieuse qu’une simple restauration. Tout le monde le sait ; mais, quand les travaux sont demandés au nom de l’art et de la religion, personne n’en veut refuser les fonds. De toutes les dépenses inscrites au budget, ces dépenses de luxe sont les moins discutées, les moins contestées. Ni les commissions parlementaires, ni la presse, ni l’opinion publique, n’osent mettre en doute l’opportunité ou la nécessité de sacrifices imposés par la préservation de nos plus nobles monumens. Dans cette aveugle générosité d’un pays dont le budget vient d’être augmenté de 500 à 600 millions, il y a quelque chose de hautement respectable, quelque chose qui fait honneur au génie et à l’âme de la France. Ce soin libéral des monumens ne les en expose pas moins quelquefois à un réel danger, et dans certains cas l’avarice leur eût été plus favorable. Chose triste à avouer, l’intérêt de l’art et de l’histoire n’est point toujours ici en désaccord avec l’intérêt des finances.

En fait de restaurations, les plus simples et les moins coûteuses sont souvent les meilleures ; ce sont au moins celles qui déforment le moins l’édifice. Le plus souvent il vaudrait mieux répartir sur un plus grand nombre d’églises les sommes employées à la reconstruction de quelques-unes. Combien dans nos provinces de rares et de curieux édifices souffrent de vétusté et dépérissent sous nos yeux