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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/669

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main-d’œuvre est si chère, et où le citoyen répugne à faire fonction de portefaix.

Nous voici dans Wall-street, le quartier de la finance. Cette rue, qui se détache de Broadway pour descendre vers la rivière de l’Est, est, avec deux ou trois autres parallèles ou transversales et plus courtes, le centre des affaires de banque. C’est comme Lombard-street à Londres et plus agité encore. Ce petit point de l’immense ville, à peine perceptible sur un plan à grande échelle, est celui où se signent et s’encaissent chaque jour des milliers de traites dont le monde entier connaît la signature et où se liquident, dans une chambre de compensation ou clearing-house, les transactions de la place pour une valeur de 170 milliards de francs chaque année. Soixante maisons de banque échangent là quotidiennement leur papier, et par des viremens qu’amènent naturellement les relations d’affaires arrivent en quelque sorte à payer sans argent. Il a suffi en 1871 de débourser ainsi 5 milliards pour en payer 170, soit 1 pour 34. Cette ingénieuse invention du clearing a été empruntée à l’Angleterre, et ne date à New-York que de 1853 ; elle a peine à s’acclimater à Paris, qui est cependant une des premières places monétaires du globe.

C’est auprès de l’établissement du clearing-house, dans ce qu’on appelle gold-room ou la chambre de l’or et stock-exchange ou l’échange des valeurs, à proprement parler la Bourse, que se débattent chaque jour, de dix heures du matin à deux heures de l’après-midi, la prime de l’or, — depuis la guerre de sécession le papier-monnaie est la seule monnaie légale, — et le cours des divers titres financiers cotés, rentes publiques, actions ou obligations industrielles, de chemins de fer, de canaux, de mines. Ceux qui sont entrés à la Bourse de Londres ou de Paris, à l’heure ou elles fonctionnent, n’ont qu’une idée affaiblie du vacarme qui règne, vers midi, à la Bourse des valeurs de New-York. Si l’on ne savait ce qu’ils font, on prendrait tous ces hommes pour des fous ; on se demande comment ils arrivent à s’entendre.

Le stock-exchange occupe un bel édifice au coin de Wall-street. Renonçant à la simplicité d’autrefois que l’Angleterre n’a pas encore bannie, le banquier de New-York a lui-même des bureaux splendides. Elle a été démolie, la vieille maison qui l’abritait hier, lui et ses commis, pour faire place à un édifice à façade somptueuse, où se marie le marbre de Carrare au granit et au porphyre américains. À ces millionnaires improvisés, il faut des palais, même pour leurs opérations de banque. Le financier Fisk, aventurier. effronté, qui tomba, il y a deux ans, sous la balle d’un rival en amour et en affaires, a donné l’un des premiers l’exemple de ces transformations. Jay Cooke l’avait imité, qui fit au mois de septembre 1873