Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comptoir étalés tous les plats qui peuvent séduire un client pressé : les sandwiches en piles énormes, les viandes froides en larges tranches, la salade de homard toute faite, hautement pimentée, la soupe aux huîtres où nagent de petites galettes, enfin mille pâtisseries feuilletées, rissolées, crémantes, que les affamés avalent d’une seule bouchée. C’est ensuite le tour dès boissons alcooliques, depuis le Champagne mousseux, que l’on boit à tout propos, jusqu’à l’ardent whisky, depuis l’innocent claret, le fin bordeaux venu de France, ou l’ale et le porter anglais et le lager ou bière allemande jusqu’au sherry couleur de topaze fabriqué autre part que dans les celliers de Xérès. Dans un saladier aux dimensions formidables s’étale un lac de vin aromatique. À côté, pour ceux en petit nombre qui ont fait vœu de tempérance, une cruche d’eau glacée. Des échansons attentifs versent les liqueurs à plein verre, ou vous passent avec confiance la bouteille, s’ils sont occupés à préparer pour d’autres ces breuvages composites chers à tous les Américains. La menthe poivrée, le zest d’orange ou de citron, s’y marient à la glace et à diverses liqueurs enivrantes. La règle veut qu’on boive cela avec un chalumeau. Le drink avalé, on prend en passant un havane, que l’on mâche plus qu’on ne le fume, et l’on court de nouveau aux affaires jusqu’à quatre heures. Nulle causerie, nul entrain, nul rire, ce serait pure perte de temps.

Laissons les banquiers, les négocians, les courtiers empressés retourner à leur office, et saluons encore, dans le quartier où nous sommes, les bourses du coton, des grains, des viandes salées, du pétrole, du tabac, où s’achètent et se vendent chaque jour pour une valeur de plusieurs millions de dollars de ces marchandises, puis reprenons la route de Broadway. Devant Wall-street se dresse l’église gothique de la Trinité, une des plus belles et des plus anciennes de New-York, aux tourelles élégantes, à la flèche élancée, haute d’environ 100 mètres, et du sommet de laquelle se déroule un panorama sans rival, toute la campagne environnante, qu’arrosent les eaux de l’Hudson. Édifiée par les Anglais peu de temps après qu’ils se furent emparés de la ville, cette église a été deux fois brûlée, deux fois reconstruite. Elle est entourée d’un ancien cimetière où sommeille sous le gazon et à l’ombre d’arbres séculaires plus d’un illustre mort. Gravé sur la pierre, on relève le nom d’Alexandre Hamilton, qu’Aaron Burr tua dans un duel, et, en entrant dans la nef, celui du brave capitaine Lawrence, qui, frappé à mort sur le vaisseau qu’il commandait, ne dit à ses hommes que ces mots : « Ne rendez pas le navire ! » Les jeunes boys de New-York savent tous son histoire par cœur.

Tout auprès de Trinity-Church, à droite, à gauche, en face, comme si les choses de la terre devaient côtoyer les choses divines, une