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Vienne et Berlin. — Les autres wards de New-York sont en partie occupés par les Américains proprement dits ; çà et là, des rues entières habitées par les nègres, ou bien une agglomération des classes dangereuses, qui réapparaît. A mesure qu’on arrive vers les dernières rues, au-delà du Parc-Central, on rencontre, à côté de rues déjà entièrement tracées, de misérables cahutes de squatters dispersées au milieu de terrains vagues. Ce sont généralement des Irlandais qui habitent là avec toute leur famille, leur chèvre, une vache. Cela fait tache, mais disparaîtra demain, à mesure que de nouvelles maisons s’élèveront sur ces emplacemens à bâtir. Le sol n’a pas encore été nivelé, mais il est depuis longtemps soigneusement cadastré, et chaque lot (c’est la surface que doit occuper une maison) en a déjà été plusieurs fois vendu et revendu. La spéculation ne s’endort pas ; le maçon viendra à son heure et chassera pour toujours le squatter.

On cite l’époque où le quartier élégant était dans le bas de la ville ; cela pouvait encore se voir vers 1840. Alors on se promenait le soir sur le bord de l’Hudson, à la Batterie, où tout le monde se donnait rendez-vous, comme au beau temps des knickerbockers. Aujourd’hui on ne va plus à la Batterie, et le bowling-green, qui en est voisin, ne voit plus de joueurs de boules. On aies squares, qui rompent çà et là la monotonie des rues et des avenues, lesquelles sont aussi plantées d’arbres. On va dans l’après-midi entendre la musique et parader en voiture au Central-Park, qui est à 8 kilomètres de la Batterie. Cette distance de 8,000 mètres, parcourue en trente ans, peut donner une idée de la vitesse avec laquelle se développe et s’avance la ville de New-York. C’est une vitesse d’environ 270 mètres par an. Nous nous souvenons d’avoir vu la ville, en 1859, s’arrêter au square Madison, où est l’hôtel de la 5e avenue ; nous l’avons retrouvée, en 1870, aux environs du Parc-Central, à 2 kilomètres 2/3 du premier point. Les hommes d’affaires avisés, qui jouent sur le prix des terrains, ont l’instinct de cette loi économique. Qui achète à New-York un terrain à bâtir et peut le garder dix ou vingt ans est sûr de quintupler, de centupler quelquefois son capital.

Les habitans de New-York citent à tout propos les étonnans progrès de leur ville et en sont justement fiers. Ce parc, qu’ils ont appelé central, bien qu’en le traçant à l’extrémité nord de la cité, un jour que les magnifiques embellissemens du bois de Boulogne à Paris leur tournèrent à eux aussi la tête, ce parc, que nous avons vu à peine planté en 1867, nous l’avons retrouvé plus vert les années suivantes, et en pleine vigueur pendant l’été de 1874. Alors aussi il commençait réellement à mériter son nom, car il est maintenant bien au centre de cette grande ville, de cette Babylone