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y a un mot pour cette singulière habitude, familière à toutes les dames américaines et un peu aux Anglaises : on appelle cela shopping (magasiner). Une autre coutume où les Américaines sont maîtresses, c’est d’entrer dans les confiseries et d’y prendre des glaces à tout propos ; mais la femme est partout gourmande. Le soir, les mêmes jeunes filles se retrouvent au théâtre, au restaurant. Si un grand bal quelque part se donne, on est sûr de les y rencontrer. L’été, des parties sans fin les appellent dans les villes d’eaux, à Newport, à Long-Branch, à Saratoga, où elles étalent plusieurs fois par jour des toilettes à ruiner vingt maris, ou bien, franchissant l’Océan, elles viennent étonner l’Europe de leurs joyeux écarts. Qui ne les a rencontrées à Brighton, dans l’île de Wight, à Ostende, à Spa, à Hombourg, à Rome, à Paris, où elles ont trôné un moment avec tant d’éclat ? Les fêtes bruyantes des Tuileries, surtout vers la fin de l’empire, n’eurent pas de solliciteuses, d’habituées plus empressées que ces fières républicaines. Bien des gens accoutumés à nos usages ne voudraient pas de ces jeunes filles pour femmes. Ils ont tort ou ils ont raison, peu importe ; la vérité est que ces jeunes filles, au début si légères et quelquefois, disons-le sans détour, compromises par des actes graves, font à la fin des femmes comme d’autres et d’excellentes mères. A chaque pays ses mœurs. Quelques familles revenues d’Europe ont essayé d’importer aux États-Unis notre méthode sévère d’éducation féminine, elles ont trouvé peu d’adhérens.

Les hommes se distinguent des femmes, au moins en apparence, par plus de calme et de réserve. Ils commencent à travailler très jeunes, car on quitte de bonne heure l’école. Ils s’occupent avec ardeur d’affaires de tout genre, de commerce, de banque, d’industrie. Beaucoup voyagent et ne reviennent à la maison qu’après avoir fait fortune. On ne compte guère sur l’héritage paternel, et la dot est chose presque inconnue, même pour les filles. Le père, aujourd’hui millionnaire, peut être demain ruiné. Sur qui compter ? Sur soi-même, sur soi seul, et c’est ce que fait chacun.

Ainsi préoccupés de choses matérielles, les hommes ne brillent point par des manières exquises : ils n’ont pas le temps d’être polis. Qui n’a entendu parler de leur manque d’urbanité, de leurs habitudes plus ou moins grossières ? Autant les femmes sont distinguées, autant les hommes le sont peu, et c’est pour cela, non moins que pour le désir qu’éprouvent les naïves misses d’acquérir ce qui est défendu chez elles, c’est-à-dire un titre, que beaucoup de jeunes Américaines viennent se marier en Europe. Que de comtesses et de marquises d’emprunt sont ainsi retournées à New-York, à Chicago, à Boston ! Hâtons-nous de dire que les graves défauts que l’on peut reprocher aux hommes disparaissent peu à peu dans les grandes