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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/696

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d’être l’arbitre du goût en Europe. Quand l’art expirait au-delà des Alpes, c’est elle qui ramassa le sceptre tombé des mains de l’Italie, épuisée de génie. C’est elle encore aujourd’hui qui défend le beau contre la multiplicité des doctrines et le besoin maladif de l’imprévu. La conscience des peuples a rendu son verdict dans ces grandes assises qu’on appelle les expositions universelles, mettant chaque nation à son rang ; si la France a obtenu le premier dans les arts, à quoi le doit-elle ? Les aptitudes de certaines races ont sans doute une cause providentielle qui échappe à l’analyse ; mais, quand le grain tombe dans une terre fertile, il n’est pas indifférent de l’abandonner à son développement naturel, ou d’y aider ; la culture le plus souvent double l’élan de la sève. Il en est de même pour les choses de l’esprit : ce que le fermier attentif obtient du sol qu’il enrichit, les gouvernemens à leur tour ont la mission et le devoir de l’obtenir des générations qu’ils dirigent. Parmi les moyens qui facilitent cette tâche, un des plus heureux est certainement la création de ces institutions qui sous le nom de musées fournirent tant d’élémens à l’étude dans tous les siècles.

Aux temps antiques, l’enseignement naissait à chaque pas. Quelles écoles que l’Acropole d’Athènes, que le Forum de cette Rome où les statues de marbre ou d’airain doublaient pour ainsi dire le nombre des habitans ! Collections saintes créées par le patriotisme et le sentiment religieux et que l’amour instinctif du beau protégeait, — Ce qui n’empêchait pas cependant les chefs de république ou les empereurs, qu’Os s’appelassent Sylla ou Néron, de se former, par orgueil ou par un reste d’élévation d’esprit, des cabinets qui servaient de lieux d’étude à leurs artistes favoris. Des villes même comme Athènes, malgré le luxe en plein air de leurs innombrables ex-voto, ornaient encore des sanctuaires, particuliers où l’art semblait le seul dieu que l’an vint adorer. Et au lendemain des grandes invasions ne voit-on pas les fils des barbares fouiller les décombres qu’ont entassés leurs pères et faire une sorte d’amende honorable devant ces ruines accusatrices ? Les successeurs de Clovis possèdent déjà des collections, et ils en tirent vanité. Cinq siècles plus tard, Charlemagne veut « faire de la France une Athènes chrétienne. » Au XIVe siècle, les rois de France dressent les inventaires de leurs trésors, bijoux, reliquaires, statuettes et manuscrits, et au XVe Laurent de Médicis ouvre aux Florentins ses jardins que garnissent des statues apportées à grands frais des rivages de la Grèce et de l’Asie. De Naples à Milan, une émulation de chefs-d’œuvre s’engage avec le passé. Donatello coudoie Lysippe. L’Hercule d’Apollonius enfante le Moïse de Michel-Ange, et quand François Ier rentre en France, couvert des lauriers de Marignan, il