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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/706

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pousse, se laissent aller à des choix trop indulgens quelquefois discutables, est-ce bien à eux qu’il faut en faire remonter la responsabilité ?

Ce n’est pas ainsi qu’on se conduit ailleurs ; mais se préoccupe-t-en en France de ce qui se passe au-delà de nos frontières ? Chez nous, élus et électeurs, nous regardons d’un œil si distrait, nous écoutons d’une oreille si impatiente, que les donneurs de conseils prennent vite l’habitude du silence, et, quand des signes certains nous avertissent des dangers que notre quasi-dédain augmente, il est le plus souvent trop tard pour parer aux conséquences. Nos distributeurs de budget savent-ils que, pour l’augmentation seule de la National Gallery, le parlement anglais, qui a cependant bonne réputation de sagesse, alloue en moyenne par an plus de 300,000 francs ? Eh bien ! quoi ? dira-t- on, les peintres d’outre-Manche en deviennent-ils plus habiles ? et nos artistes ne sont-ils plus les premiers cotés sur le marché d’Europe et d’Amérique ? Cela peut être encore vrai ; mais nos rivaux nous serrent de près. Nous abaissons, parce que cela nous rapporte, le niveau de notre école, et il n’est plus malaisé d’y atteindre. Le métier et l’adresse devenant notre seule préoccupation, nous ouvrons de nos propres mains à nos imitateurs un champ où il est facile de nous combattre. Commercialement parlant, la concurrence nous menace ; si nous devons nous résigner au partage des bénéfices, tâchons de garder du moins la gloire intacte. Retournons pour cela à la vraie tradition de notre école, à cette tradition léguée par Poussin et Lesueur à Ingres et à Flandrin. Amassons, pour y aider, les preuves qui persuadent et qui entraînent. Que l’attrait de nouveaux exemples, cherchés parmi les grands modèles de tous les siècles, exposés sous les yeux des jeunes artistes, fortifie dans leur imagination impressionnable l’autorité des conseils que l’habitude rend moins persuasifs. Ne cessons de faire ressortir chaque année l’importance que prennent de jour en jour ces questions idéales qui se confondent aujourd’hui avec nos intérêts les plus positifs et les plus pressans. Que l’opinion des gens de goût et des juges compétens fermement exprimée rappelle à nos gouvernans des devoirs qu’ils négligent plus souvent par ignorance que par système. Avertissons sans nous lasser, réclamons sans découragement, assurons l’avenir, s’il en est temps encore. Ceux-là du moins qui se mettront à l’œuvre, s’ils échouent, trouveront toute voisine de leurs déceptions cette consolation que fournit l’amour désintéressé du bien et qui se double, sous l’échec, des invincibles espérances du bon sens.


CH. TIMBAL.