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voir un des plus beaux tableaux de Murillo, le Saint Antoine de Padoue, dérobé par des voleurs eu pleine cathédrale de Séville ! La plus sérieuse preuve de sagesse et de prévoyance qu’il puisse donner surtout, c’est de comprendre qu’au lieu de blesser gratuitement la France, au lieu de lui susciter des ennuis peu sérieux, mais toujours agaçans, il doit voir en elle, au milieu de ses embarras, son alliée la plus naturelle, la plus précieuse, parce qu’elle est la plus sincère et la plus désintéressée.

Les révolutions ont leurs suites inévitables et quelquefois leurs retours imprévus. Les États-Unis en sont la preuve aujourd’hui. Le parti républicain, que la guerre de la sécession avait laissé maître absolu du pouvoir et de la direction des affaires, vient d’essuyer la plus insigne défaite dans les élections qui viennent d’avoir lieu. Le parti démocrate, si longtemps abattu, mais non découragé, a fini au contraire par retrouver une victoire presque inattendue. Il rentre au congrès avec des forces nouvelles et une prépondérance marquée, A quoi tiennent ces reviremens ? Ils sont sans doute la suite de bien des circonstances, de bien des faits qui ont mis des années à produire leurs conséquences, et qui ont eu pour dernier résultat ce récent et singulier scrutin.

La vérité est qu’après sa victoire sur les sécessionistes, le nord a traité les états du sud à peu près en pays conquis. Il a jeté dans ces états déjà désolés par la guerre, appauvris par une émancipation subite des esclaves, tous les aventuriers qui se sont abattus sur cette proie, ont fait leur fortune, se sont emparés de toutes les positions en exploitant habilement les intérêts et les passions des nègres brusquement appelés à la pleine jouissance de tous les droits de la vie publique. Il en est résulté par degrés un état des plus violens qui s’est traduit depuis quelque temps par des luttes acharnées, par des résistances organisées des blancs, même par des scènes sanglantes dans la Caroline, dans la Louisiane, — et qui a fini par aboutir à une réaction dont les élections dernières sont l’expression. Les républicains du nord ont eu le tort de trop couvrir de leur protection tous les excès commis dans le sud, parce qu’ils croyaient voir toujours s’agiter l’esprit sécessioniste, et en définitive ils n’ont fait que servir la cause du parti démocrate qui se relève aujourd’hui. D’un autre côté, le parti républicain lui-même n’est point sans être travaillé par bien des divisions, et une circonstance récente est venue peut-être aggraver ces divisions. Le général Grant a été élu déjà deux fois président, et, bien que l’époque de la future élection soit encore assez éloignée, les amis du président, s’exagérant peut-être sa popularité, ont parlé de lui préparer une troisième candidature à laquelle il semblerait se prêter assez volontiers. Le général Grant est sans doute dans une position éminente, il n’a pas perdu, son prestige dans le pays ; mais son gouvernement n’est rien moins que populaire, et le parti républicain est loin de lui être acquis tout entier. La menace d’une troisième candidature présidentielle pour