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corps de censitaires, un sénat est moins nécessaire, parce que ce corps électoral peut déjà être considéré comme une aristocratie relativement au grand corps électoral du suffrage universel. Sans aller jusqu’à soutenir que l’on pourrait trouver dans ces électeurs du cens des garanties suffisantes de lumières, de sagesse et d’esprit conservateur, il est permis de dire qu’un pays gouverné par une assemblée ainsi élue ne court pas le risque de se perdre dans les entraînemens d’une démocratie ignorante et passionnée. C’est donc dans l’institution même du suffrage universel que nous voyons la plus forte raison d’établir une seconde chambre qui puisse modérer le tempérament démocratique de la première. C’est le sentiment de cette vérité qui avait inspiré tous ces systèmes ayant pour objet d’introduire dans le suffrage universel une sérieuse garantie contre l’aveugle puissance du nombre. On a cherché cette garantie dans un minimum de cens, dans un système de catégories électorales, dans un vote multiple et proportionnel au chiffre de l’impôt ou au nombre des enfans, dans un ensemble de conditions plus ou moins rigoureuses d’éligibilité. La commission, qui a soumis toutes ces idées à l’épreuve d’un long examen, a fini par voir qu’il était impossible de rien faire de semblable, sans mutiler ou fausser ou enchaîner le suffrage universel, et qu’une telle garantie ne pouvait être cherchée que dans la constitution d’une seconde chambre.

Le lecteur nous permettra-t-il d’ouvrir encore une courte parenthèse ? Dans un de ces discours où M. Thiers sait mettre tant d’esprit au service de tant de bon sens, il se plaignait de la puissance des mots sur l’oreille d’un peuple qui n’entend pas toujours les choses. Il en est un qui met la division dans un grand parti et le trouble dans le pays : c’est le mot de radical et de radicalisme. La faute, on doit le reconnaître, en est tout entière à une fraction du parti qui s’est ainsi qualifiée elle-même. Si nous avions un conseil à donner à cette fraction, qui s’en sert trop souvent pour se concilier des suffrages sur lesquels elle ne devrait jamais compter, nous la prierions de rayer ce mot du langage qu’elle parle aux classes ouvrières. Ce n’est pas qu’il ne réponde à une chose bien connue et qu’il est possible de définir ; mais radicalisme est un mot d’école, non de parti. Il y a, il y a eu, il y aura toujours en tout pays une école de philosophes et de penseurs qui, en avant de leur pays et de leur temps, rêveront l’idéal et l’absolu, qui professeront l’utopie longtemps avant que l’esprit pratique d’un parti politique quelconque ne la convertisse en réalité, si c’est ce que nous appelons une utopie vraie, c’est-à-dire qui n’attende que le moment opportun pour être praticable ; mais un parti n’est jamais radical, à proprement parler, précisément parce qu’il est ou doit être avant tout