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s’enchevêtrent de telle sorte qu’on ne pourrait y faire dix pas sans s’égarer. La promenade ne pourrait s’y prolonger indéfiniment, tant l’air y semble lourd et épais. Munis chacun d’une bougie, en longue procession, sous la conduite d’un moine, deux ou trois cents archéologues circulent par ces ténébreux couloirs. A droite et à gauche, dans des espèces de niches, sont les tombeaux des saints : ils sont environ 80 dans les catacombes proches et 45 dans les éloignées. Le couvercle du cercueil est levé, et, sous le drap de brocart qui recouvre leur dépouille, nos doigts profanes peuvent sentir le relief de leur crâne et de leurs os. Il est vrai que sous ce premier linceul ils sont emmaillottés dans des fourreaux de soie ; la momie est devenue un mannequin. Autrefois ces corps étaient à découvert : les anciens voyageurs parlent de la couleur de leur visage et de leurs mains ; aujourd’hui un seul de ces bienheureux offre une petite main noire et desséchée aux baisers des pèlerins. On assure que ces corps, dont beaucoup sont là depuis cinq ou six siècles, sont parfaitement conservés : cette incorruptibilité des saints serait une récompense de leurs vertus.

Auprès de chaque tombeau, un écriteau donne le nom du défunt ; on ne peut lire sans surprise celui de l’annaliste Nestor, à qui la Société de l’histoire et des antiquités russes a dédié une plaque en bronze doré, et celui de cet étrange Ilia de Mourom, le vieux cosaque des bylines, devenu ici un saint personnage. C’est aussi l’auréole au front, les mains levées au ciel, le corps à moitié nu comme un anachorète, qu’il est représenté dans une gravure du XVIIe siècle publiée par M. Stasof. Le nom des bienheureux est accompagné d’une mention indiquant ce qu’ils furent de leur vivant : saint Antoine, l’igoumène de la Lavra ; saint Niphont, l’archevêque de Novgorod ; saint Lucas, l’économe ; saint Grégoire, le peintre d’icônes ; saint Agapit, le médecin qui guérit gratuitement ; saint Marc, le fossoyeur ou le creuseur de catacombes. D’autres épithètes indiquent leurs qualités dominantes : saint Onésiphore, le confesseur ; saint Jérémie, le perspicace, favorisé du don de prophétie ; saint Onoufre, le silencieux ; saint Pimène, le jeûneur ; saint Abraham, le laborieux ; saint Isaïe, le thaumaturge. Sur beaucoup de ces tombeaux se sont conservées de singulières légendes. Voici celui de deux frères : ils s’étaient promis de partager la même sépulture ; l’un d’eux ne revint que longtemps après la mort de l’autre ; mais, quand on apporta son corps auprès de son frère, on vit celui-ci se soulever dans son cercueil et se serrer pour lui faire une place. Voici le tombeau de l’évêque qui flotte ; mort, il avait été porté sur le Dnieper depuis Smolensk jusque sous les murs du monastère, où il entendait recevoir la sépulture. Un