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a pas de plus sévère. Il ira s’enrôler dans l’armée de Condé ; il les verra de plus près encore, et il reviendra à Londres ulcéré par leurs injures et leurs calomnies, se battant en duel pour la défense de ses opinions, mais certainement plus exécré par l’entourage des princes que ne le furent Danton et Robespierre.

La déraison des émigrés portait sur deux points : ils persistaient à croire que la révolution était peu de chose, une simple mutinerie, et, comme ils ne connaissaient pas leur pays, un grand déploiement de forces pour abattre l’énergie matérielle de la révolution leur semblait inutile. La marche des armées étrangères sur Paris devait être une promenade militaire. Pour en abattre l’énergie morale, il ne fallait pas non plus tant d’efforts. Une simple proclamation suffirait ; mais s’encanailler (nous empruntons ces mots à Montlosier) avec ces scélérats appelés constitutionnels ? Jamais ! les bottes du maréchal de Binder et l’épée du grand Frédéric suffiraient à tout. Ce n’était pas seulement Montlosier qui était traité de coquin et de renégat ; on éloignait de Coblentz le marquis de Bouille parce qu’il avait écrit en juillet 1792 : « La France presque entière est contre l’ancien régime ; j’en excepte quelques individus intéressés à le voir renaître. »

Cazalès n’était pas mieux accueilli : il était devenu partisan des deux chambres ; aussitôt qu’on eut connaissance de son arrivée à Coblentz, on n’imagina rien de mieux que de l’outrager. Plusieurs gentilshommes, l’un à la suite de l’autre, vinrent à l’auberge où l’on savait qu’il devait débarquer, prévenir l’hôtelier qu’il fallait absolument deux chambres à M. de Cazalès. Coblentz était alors encombrée. Le maître de l’auberge, qui croyait avoir fait beaucoup que de lui avoir ménagé une bonne chambre à coucher, vint à lui, aussitôt qu’il débarqua, lui témoigner son désespoir de n’avoir absolument qu’une chambre à lui offrir. Cazalès comprit très bien le sens de cette recommandation ; il sentit qu’on lui refusait toute marque de confiance. Il garda le silence et demanda seulement à servir aux avant-postes.

On ne connaîtra jamais à fond l’histoire de la révolution française quand on négligera de tels faits. Lorsque des personnages aussi haut placés étaient ainsi accueillis, Montlosier pouvait-il avoir l’espérance de l’être mieux ? Quelques-uns de ses camarades lui écrivaient de venir, d’autres l’en dissuadaient. « Si vous venez, on vous jettera dans le Rhin, » lui disait-on. Malouet et Bergasse lui répétaient : « Qu’allez-vous faire ? — Ma place, répondait-il, me semble devoir être parmi les gentilshommes de ma province ; ils m’ont nommé leur député ; ils ont droit de ma part à quelque retour de reconnaissance et de service. » Ses amis se rendirent à ces