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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/917

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reilles entreprises ? Un personnel énorme, deux troupes à mener de front ! Un grand opéra, — même populaire, — ne se joue pas tous les jours ; donc un seul succès ne suffit point, il en faut deux, rien n’est obtenu, si d’avance les lendemains ne sont assurés. Et avec cela, pas de répertoire, en cas de besoin, nul recours aux reprises ; mais, pour affronter des responsabilités de ce genre, 2 millions seraient à peine assez, et la plupart du temps c’est avec une centaine de mille francs qu’on s’aventure, heureux encore quand ils ne doivent rien à personne. On se dit : Embarquons toujours, gagnons le large ; une fois lancés, le vent de la fortune soufflera dans la voile. On compte sur les premières recettes pour se couvrir : spéculation absurde, et qui, réussissant, ne servirait qu’à prolonger de quelques, mois la partie, mais dont le résultat se liquide par une catastrophe immédiate lorsqu’il s’agit d’un ouvrage comme les Parias.

Je me demande quelles notions de l’art dramatique à notre époque peut bien avoir un homme qui, fondant un théâtre de grand opéra, imagine de l’inaugurer par une tragédie de M. Membrée, et cela, presqu’au lendemain de la chute de l’Esclave à l’Opéra non populaire. Quelle chance de succès cette partition offrait-elle dans la circonstance, quel mérite singulier, quels avantages la désignaient au choix d’un directeur pontant au jeu sa première mise ? Pourquoi les Parias ? pourquoi cette partition plutôt qu’une autre ? Mystère ; n’essayons pas d’approfondir, arrêtons-nous aux choses que nous avons vues, ou pour mieux dire entrevues, car, hélas ! trois représentations ont réglé le destin des pauvres Parias. Le premier soir, c’étaient des ovations, des frénésies ; l’œuvre montait aux nues, l’auteur acclamé paraissait en personne sur la scène, traîné comme de force, devant un public idolâtre qui n’eût certainement point consenti à quitter la place sans contempler les traits du radieux triomphateur, et quelques jours après cette œuvre, objet de tant d’espérances accumulées, hier le trésor d’une administration aux abois, l’enthousiasme d’une multitude fanatique, cette œuvre pompeuse et solennelle quittait l’affiche tristement :

Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.


Hâtons-nous pourtant de déclarer qu’il y a bien de la rigueur dans ce coup dont s’est vu frapper l’opéra de M. Membrée, et que ces malheureux Parias, s’ils ne méritaient point cet excès d’honneur, ne méritaient pas. non plus cette indignité. L’erreur de M. Membrée est de n’avoir pas su profiter de la leçon que son échec de cet été lui donnait. L’événement et la critique l’avaient averti sur les périls auxquels on s’expose en apportant au public des ritournelles dans le goût de ce qui s’écrivait il y a vingt ans, et le voilà tout aussitôt qui, au lieu de se re-