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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/924

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à son influence, on ne saurait la déplorer assez. Elle a tué la fortune du théâtre. Comédienne inhabile, impropre surtout au dialogue, elle a poussé à l’avènement, à l’absolue prédominance de ce genre pseudo-lyrique dont nous voyons aujourd’hui les beaux effets, inutile aux jeunes compositeurs, ne créant aucun rôle nouveau, immobilisant tout par les reprises. Ainsi brillent et passent les étoiles ; nous ignorons quelles vont être les destinées de ce charmant théâtre, qui fut jadis l’Opéra-Comique de Boieldieu, d’Hérold, d’Auber et de Grisar ; mais, pour qu’il se relève du fâcheux état où le voilà mis, un succès désormais ne suffirait pas ; c’est un changement de système, un complet renouvellement que la situation commande.

Paris connaît aujourd’hui l’intérieur du nouvel Opéra, et l’édifice, pour ne s’être encore ouvert qu’à demi, a laissé pénétrer tant de monde que les merveilles qu’il renferme ont cessé d’être un mystère. L’éblouissement, dès les premiers pas, vous saisit et ne vous lâche plus : un escalier des géans à perspectives étourdissantes, des degrés où l’on ne voudrait voir circuler que des personnages de Véronèse, de Titien, de Van Dyck, de Rubens, et que le fourmillement de nos habits noirs déshonore ; partout le marbre, l’onyx, le jaspe et l’or et la mosaïque : c’est le temple du dieu Million ! Il semble que l’architecte, puisant à pleines mains, puisant toujours dans le sac aux ressources infinies, se soit dit, enivré, affolé de magnificence et de splendeurs : « Dépensons joyeusement, sans calculer, sans regarder, pour le plaisir ! Plus ce sera cher, plus ce sera beau ! » Venise, à ce qu’on raconte, fut un rêve de l’Océan ; cet Opéra, prodige de somptuosité, entassement de trésors, capharnaüm vertigineux, est le rêve d’un siècle ayant perdu la foi dans l’idéal et qui ne croit plus qu’à la richesse. Le luxe vous déborde, un luxe écrasant et point d’art, une gradation désolante et qui, des cafés du boulevard où déjà tant d’or se relevait en bosse, s’en va montant jusqu’à ces foyers, à ces coupoles, derniers termes du triomphe universel de la matière ! Ce que je dis n’atteint pas l’architecte ; M. Garnier est de son temps et nous le prouve, peut-on lui en faire un reproche ? Les dispositions sont admirables : vastes dégagement, larges espaces ouverts à la circulation ; du parterre aux combles, en un clin d’œil et sans le moindre encombre, cette salle se viderait. Les loges sont excellentes, bien pourvues de salons, même aux troisièmes, on y voit de partout ; du reste, c’est le modèle de l’ancienne salle exactement reproduit et surchargé de dorures, principalement aux avant-scènes, qui ressemblent à des châsses de cathédrale. Du côté de la scène, mêmes facilités ; de larges escaliers pour ceux qui montent et d’autres pour ceux qui descendent, de manière que les courans ne se contrarient point. Jamais les services n’auront fonctionné si librement : figurantes et figu-