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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/954

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pensée. « Ce livre n’est point une œuvre de polémique, » dit ingénument le prospectus de la maison Didot. C’est très bien fait sans doute d’avoir obtenu cet effort de la part de M. Louis Veuillot, mais vraiment cela ne suffisait pas. Sans insister sur la première partie de l’ouvrage, Jésus-Christ attendu, essai de métaphysique religieuse à laquelle l’auteur était médiocrement préparé, sans nous arrêter non plus à la seconde partie, Jésus-Christ vivant, où nous avons remarqué un chapitre plein de grâce, intitulé, l’Année douce, mais où l’écrivain ne pouvait espérer substituer son récit à celui de l’Évangile, nous sommes obligé de dire que, dans la troisième partie, Jésus-Christ continué, la rédaction est un perpétuel démenti à la leçon qui résulte des figures.

Les figures parlent de liberté, de lumière, d’efforts généreux et variés ; le texte, à part quelques pages heureuses sur Charlemagne et un tableau brillant du règne de saint Louis, enseigne tout le contraire de l’épanouissement. On étouffe, on demande de l’air. Une des preuves les plus frappantes de la divinité du christianisme, c’est qu’on y aperçoit de toutes parts des jours ouverts sur le christianisme ; dans cette apologie d’un nouveau genre, tout se resserre, tout se rétrécit, tout est ramené à Rome seule, je me trompe, tout est ramené à la seule compagnie de Jésus. Ce qu’il appelle le Christ continué, c’est le Christ diminué. Au XVIe siècle, il n’y a eu de grand qu’Ignace de Loyola ; au XVIIe siècle, les fondateurs de Port-Royal ont proposé à la France d’adorer Satan, et par la déclaration de 1682, tout le clergé français, Bossuet en tête, a donné le premier signal de la révolution. Au XVIIIe siècle, la France, qui n’a rien fait, rien produit, a pourtant suscité un grand saint et un grand martyr ; lequel ? La compagnie dont un pape en 1773 a prononcé l’abolition. Voilà la vie de l’humanité sous l’action de la Providentiel Voilà Dieu dans l’histoire ! Voilà Jésus continué ! Notez que l’auteur écrit de telles choses au moment même où ces querelles surannées de jésuites et de jansénistes sont étudiées par. la philosophie spiritualiste avec la précision la plus fine et l’impartialité la plus sereine. C’est vraiment, trop de grossièreté. Nous employons ce terme au sens que lui donnait le XVIIe siècle.

Dans une publication de ce genre, on aurait voulu trouver l’unité de pensée et d’exécution qui recommande par exemple la magnifique édition de Joinville donnée par la même librairie[1]. Là du moins tout est d’accord, le texte et le commentaire. Avec la conscience d’un vrai savant, M. Natalis de Wailly a tenu à s’inspirer avant tout de l’esprit de son sujet. Il est vrai que les études de sa vie entière l’y préparaient admirablement. Refaire l’Évangile après les évangélistes et montrer la vie

  1. Jean, sire de Joinville. Histoire de saint Louis, Credo et lettre à Louis X, texte original accompagné d’une traduction, par M. Natalis de Wailly ; Didot, 1874.