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DEUX CHANCELIERS

II.
UN MINISTRE NATIONAL ET UN DIPLOMATE FRONDEUR A SAINT-PETERSBOURG.[1]


I

Dans le développement prodigieux que prit l’empire des tsars depuis l’impulsion que lui avait donnée le génie de Pierre le Grand, on peut certes signaler plus d’un ministre des affaires étrangères russe dont le nom a le droit d’être recueilli par l’histoire. Ce n’était point par exemple un esprit ordinaire que ce comte Panine qui sut concevoir et faire accepter par différens états l’idée de la neutralité armée sur mer, et cela à une époque où la Russie commençait à peine à compter parmi les puissances maritimes de second ou de troisième ordre. Si dans cette conception hardie, aussi bien que dans les tentatives encore plus intéressantes de Panine pour limiter le pouvoir absolu des tsars par des institutions aristocratiques, il était permis de voir l’influence lointaine d’une origine italienne (les Panine descendent des Pagnini de Lucques), on ne saurait méconnaître par contre le caractère tout à fait indigène, grandement autochthone, d’un autre ministre fameux du même siècle, de ce chancelier Bestoujef dont Rulhière nous a retracé la figure profondément originale. Bestoujef, qui parlait parfaitement, feignait d’être bègue, et il eut le courage de simuler ce défaut pendant dix-sept ans. Dans ses conversations avec les ambassadeurs étrangers, il balbutiait de

  1. Voyez la Revue du 15 juin.