Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ambassadeurs des grandes puissances afin d’examiner avec eux la situation « douloureuse et précaire » des chrétiens de la Bosnie, de l’Herzégovine et de la Bulgarie, et bientôt une circulaire du vice-chancelier (20 mai) insista pour la réunion d’une conférence afin de remanier les stipulations établies par le traité de Paris. « Le temps des illusions est passé, s’écriait dans cette circulaire Alexandre Mikhaïlovitch ; toute hésitation, tout ajournement, amèneraient de graves inconvéniens, » et il s’emparait même de l’affranchissement récent de l’Italie comme d’un argument pour l’indépendance future des populations qui éveillaient toute sa sollicitude : « les événemens accomplis à l’occident de l’Europe ont retenti dans tout l’Orient comme un encouragement et comme une espérance ! .. » Ainsi, quatre ans à peine après le traité de Paris, la Russie revenait de nouveau parler au monde du « malade, » et, pour le faire, elle ne s’abritait plus, comme dans les conférences et commissions de 1856-59, sous la protection et le langage de la France, elle allait toute seule et prenait l’initiative du débat !

Ce n’est pas assez : dans cette seule année 1860, le cabinet de Saint-Pétersbourg devait regagner presque tout le terrain perdu depuis la guerre de Crimée ; ce fut une année de grâce particulière pour la Russie, car ce fut une année de méfiance universelle contre la France. L’acquisition de la Savoie, le spectacle étrange et profondément immoral qu’offraient les négociations de ce traité de Zurich, déchiré avant même d’être signé, les annexions piémontaises en Italie, l’expédition de Garibaldi en Sicile, le « droit nouveau » dont parlaient en France les journaux officieux, et la fameuse brochure sur le Pape et le Congrès, avaient jeté l’alarme et éveillé au plus haut degré les inquiétudes de l’Europe. Lord Palmerston déclarait « ne plus vouloir donner une main à l’ancien allié qu’en tenant l’autre sur le bouclier de la défense, » et il armait ses volontaires. La Suisse se démenait tumultueusement ; le National-Verein jurait de mourir pour la défense du Rhin, et il n’est pas jusqu’à ces honnêtes et paisibles Belges qui ne crussent devoir affirmer dans une adresse au roi que, « si leur indépendance était menacée, ils sauraient se soumettre aux plus dures épreuves. » Au-dessus de ces frayeurs populaires s’agitaient les conciliabules des souverains : les princes allemands se réunissaient à Bade, et l’empereur des Français crut opportun de les surprendre en quelque sorte au milieu de leurs délibérations en faisant ce « rapide voyage » dont le Moniteur promettait de « très heureux résultats. » — « Il ne fallait rien moins que la spontanéité d’une démarche aussi significative, ajoutait la feuille officielle, pour faire cesser ce concert unanime de bruits malveillans et de fausses appréciations. En effet, l’empereur,