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première pensée du gouvernement nouveau a été de rejeter d’abord les carlistes dans leurs montagnes, de les cerner par tout un système de fortifications autour d’Estella, de leur interdire des incursions dans la Castille, des expéditions comme celles qu’ils ont faites l’an dernier jusqu’à Cuenca, jusqu’aux approches de Madrid. Il a réussi jusqu’à un certain point. Aujourd’hui la guerre semble reprendre une allure plus active ; il y a tout un ensemble d’opérations engagées par le général Martinez Campos en Catalogne, par le général Jovellar, qui a quitté le ministère de la guerre pour aller commander en Aragon, par le général Quesada en Navarre, par le général Loma en Biscaye. Ces opérations réussissant, il sera plus facile d’attaquer l’insurrection dans son dernier asile, jusqu’ici inexpugnable, — d’autant plus que les ressources des carlistes s’épuisent, que les subsides étrangers diminuent pour eux et que les populations sont fatiguées de la guerre. C’est peut-être encore une question de temps ; quant au succès définitif, il n’est point douteux, l’Espagne libérale est désormais assez forte pour que la victoire ne puisse être incertaine. Un général supérieur précipiterait sans doute la solution et en finirait plus vite avec cette guerre désastreuse, c’est possible ; si ce général n’existe pas, le résultat n’est pas moins infaillible par une action plus lente et plus méthodique devant laquelle le drapeau carliste ne peut tarder à disparaître. La situation militaire, telle qu’elle apparaît dès aujourd’hui, en est le gage.

La question politique n’était pas moins difficile pour le gouvernement du jeune roi. Il s’agissait de débrouiller et de simplifier une situation profondément troublée où la révolution de 1848, la royauté d’Amédée, la république, le gouvernement du général Serrano, ont laissé comme un héritage d’incohérences, de divisions, de rivalités personnelles ou d’antagonismes de partis. M. Canovas del Castillo s’est mis à l’œuvre sans illusion comme sans découragement devant les difficultés. Il a tenu à procéder avec prudence, avec un large et persévérant esprit de conciliation, évitant tout ce qui eût ressemblé à une réaction, acceptant naturellement pour le jeune roi le concours des anciens modérés sans laisser altérer le caractère libéral de la monarchie nouvelle. Le but était de reconstituer en quelque sorte un terrain constitutionnel où la monarchie d’Alphonse XII pût être entourée et appuyée par toutes les fractions de l’opinion libérale. Le premier résultat a été cette réunion qui avait lieu récemment à Madrid dans la salle de l’ancien sénat et où les hommes les plus considérables des nuances les plus diverses se sont rencontrés pour préparer, d’accord avec le gouvernement, le rétablissement du régime parlementaire avec une constitution nouvelle. Un seul homme, dernier président du conseil du général Serrano, ancien ministre du roi Amédée, M. Sagasta, résistait encore et semblait se tenir à l’écart. Il s’est rendu à son tour, il est allé au palais, et ces jours derniers il assistait à un dîner donné par le roi à tous les représentans du parti con-