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fait par des digues au sommet desquelles roulent les locomotives ; mais en même temps il a fallu rouvrir plus loin des canaux afin de ne pas entraver la navigation. Plus au nord, cette même ligne croise le Hollandsch Diep, large cours d’eau par lequel s’écoulent en partie la Meuse et le Rhin. La marée y a presque autant d’amplitude que sur la côte, le vent y souffle en tempête ; l’hiver, la glace interrompt le passage des bateaux : c’est pourquoi l’on n’aurait pu se contenter d’arrêter la voie ferrée sur l’une et l’autre rive et de remplir la lacune par le va-et-vient d’un bateau à vapeur, comme il y en a des exemples aux États-Unis lorsqu’un chemin de fer croise un grand fleuve. On a donc construit sur le Hollandsch Diep un pont métallique de 14 travées ayant chacune 100 mètres d’ouverture ; c’est parmi les ouvrages de ce genre l’un des plus hardis qui se puissent citer. Plus loin encore, avant d’atteindre Rotterdam, le chemin de fer rencontre la Nouvelle-Meuse, autre cours d’eau sur lequel il a fallu construire un pont avec des arches tournantes afin de ne pas empêcher le passage des navires. Enfin le railway traverse d’un bout à l’autre cette ville de 120,000 âmes, coupant et déplaçant les rues et les carrefours, pour venir se raccorder avec les lignes plus anciennes qui conduisent aux autres provinces de la Hollande.

Le mérite principal de ces travaux est d’être exécutés dans des conditions détestables et avec des matériaux de mauvaise qualité. S’agit-il de fonder un pont, on a beau creuser, on ne trouve encore à 10 ou 20 mètres de profondeur que du sable ou de l’argile ; il faut asseoir les fondations sur pilotis. Le sol naturel de la Hollande est si bas, que la plate-forme de toute voie ferrée doit être établie sur remblai, faute de quoi elle serait exposée aux inondations ; mais la vase molle et fluente dont ce sol se compose s’affaisserait au passage des trains, si l’on ne la maintenait par des fascines. La pierre est rare, la brique coûte cher, les gros massifs de maçonnerie exigent d’ailleurs des fondations que l’on a peine à rendre suffisantes ; on a donc employé les ponts métalliques de préférence, en leur donnant autant de légèreté que le comporte l’usage auquel ils sont destinés. Dans leur lutte contre les obstacles que la nature leur opposait, les ingénieurs néerlandais ne pouvaient guère profiter de l’expérience acquise par leurs confrères des autres nations européennes. Cependant ils ont réussi, montrant autant de hardiesse dans la conception des projets que, de prudence dans l’exécution. Autre signe à noter : lorsque leurs ouvrages se’ dressent au milieu d’une ville, ils savent leur donner à l’extérieur un cachet architectural que le génie civil ne devrait jamais négliger, même s’il s’agit de constructions dont l’utilité est le mérite essentiel. Ce petit peuple de 3 millions d’âmes montre comment un territoire se transforme avec un travail persévérant.


H. BLERZY.