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couvrent en plusieurs endroits ; assez solides pour qu’on les franchisse en toute sécurité, ils permettent de couper les contours de la vallée. À peine au-delà du pauvre village de Guttanen, le regard est arrêté par les effets d’une avalanche ; des sapins sont brisés, d’autres plus loin sont renversés ou déracinés par la seule pression de l’air que la masse roulante a mis en mouvement. Une lieue encore, et la montée devient plus raide, la neige plus épaisse, les voyageurs sont obligés de se frayer la voie. L’intendant de l’hospice, qui avait tenu à suivre ses amis, perd courage ; d’un ton fort piteux se déclarant incapable de continuer l’ascension, il prend congé de la petite troupe. On approche de la Handeck, l’endroit signalé par la magnifique cascade que visitent les touristes. Les guides jugent nécessaire de quitter le fond de la vallée et de se maintenir sur les crêtes qui bordent la rive gauche de l’Aar. Les pentes sont bien rapides, bien pénibles à gravir, mais on abrège la route. Le chalet de la Handeck est enfoui dans la neige ; le toit cependant permet de le reconnaître. Tout essoufflés, les voyageurs pénètrent dans le réduit et prennent quelques instans de repos. Ils vont examiner la cascade ; silencieuse comme toute la nature, la chute d’eau, si ample et si bruyante en été, ne se décèle que par un mince filet coulant le long des rochers. Pour atteindre le Grimsel, on compte encore deux lieues. À chaque pas, la neige devient plus abondante, elle couvre, inégalement tassée, les champs de jeunes sapins. C’est horrible à traverser ; que le pied porte autour d’un petit tronc, on enfonce jusqu’à la ceinture, la secousse est atroce. Au dernier élargissement de la vallée, un filet d’eau coule dans le lit de l’Aar ; l’eau, d’une limpidité parfaite, ne charrie pas la moindre parcelle de mica ; c’est donc de l’eau de source ? remarquent Agassiz et Desor. Les deux naturalistes commencent à se trouver singulièrement éprouvés par les difficultés de la route ; ils ont chaud, et plus d’une fois ils sont obligés de reprendre haleine ; la fatigue n’a pas moins gagné les guides. La dernière heure semble bien longue. Soudain, on entend les aboiemens des chiens de l’hospice ; il n’en faut pas plus pour ranimer les courages. Bientôt, sur la montagne qui domine le Grimsel, apparaissent le garde et un beau chien de Terre-Neuve ; les cœurs battent.

Un petit commerce, qui s’effectue entre le Valais et le Hasli, ne cesse pas absolument en hiver. Le Haslien porte son fromage, le Valaisan son vin et du riz, apporté d’Italie. Ils s’arrêtent à l’hospice et y dorment une nuit. Pour faciliter les communications, l’intendant de l’hospice doit entretenir au Grimsel un homme et deux chiens. Le pauvre garde raconte que l’hiver précédent il demeura trente-cinq jours sans voir une figure humaine ; très ému par ce