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UN POÈTE RÉPUBLICAIN SOUS NÉRON.

de César est plus théâtral que conforme à la vérité, bien autrement touchante. Un beau vers nous le montre à la fin, quand il a traversé le petit fleuve, gonflé par le poète pour l’effet, entraînant son armée à travers les ténèbres. C’est le génie fatal de la ruine et de la tyrannie qui commence son œuvre sous ces funestes auspices, et se précipite en avant, poussé par la destinée. Rien n’arrêtera désormais son aveugle élan, ni les élémens déchaînés, avec lesquels il traite d’égal à égal, ni les sentimens humains, auxquels son cœur est fermé. Un instant, dans la barque d’Amyclas, il se croit vaincu. Il est vrai qu’il s’agit d’une tempête qui confond les vagues de la mer Égée avec celles de la mer Tyrrhénienne et menace de replonger la nature dans le chaos. Déjà son orgueil cherche une consolation dans la pensée d’une mort mystérieuse qui laissera le monde dans l’attente, et dans l’effroi de le voir reparaître, — lointain prélude, semble-t-il, des vers connus sur le César moderne :

Dans les nuits d’hiver, le nocher,
Si quelque orageux météore
Brille au sommet d’un noir rocher,
Croit voir le sombre capitaine,
Immobile, croiser ses bras,
Et dit que, pour dernière fête,
Il vient régner dans la tempête
Comme il régnait dans les combats !

L’analogie des deux poètes a été remarquée. César ne disparaît pas dans les flots ; une vague complaisante le dépose doucement avec sa nacelle sur la partie la plus unie du rivage, et il y retrouve « sa fortune, » qui l’y attendait.

Dans les combats, il est en proie à une folie sanguinaire ; il ne respire que le meurtre et le parricide : c’est une sorte de monstre déchaîné par les puissances infernales, les seules auxquelles sans doute il sacrifie ; il leur appartient, elles le torturent pendant la nuit et le rendent plus furieux à l’activité du jour. Ainsi le combat de Pharsale est suivi, pour César et pour ses soldats, d’une nuit de terreurs et de visions horribles. Les malheureux ont osé dormir dans le camp de Pompée, pillé par leurs mains avides, souillé par leur présence impie. Un gémissement s’élève de la terre, et elle leur envoie les âmes de leurs victimes. Parmi les torches des Furies, les sifflemens de leurs vipères, les pères, les frères qu’ils ont tués apparaissent chacun à son meurtrier. César, lui, voit à la fois tous ces mânes. Tous les glaives qui ont combattu à Pharsale, tous ceux que le sénat lèvera un jour sur lui, le menacent pendant qu’il s’agite sous le fouet des Furies. Après un pareil sommeil, le matin, il ne s’en fait pas moins servir son repas en vue de tous ces ca-