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despotisme, qui étouffe la spontanéité humaine, et la liberté, qui développe nos plus nobles qualités, mais il devra dire aussi à quelles conditions les institutions libres peuvent durer, et quelles fautes ou quelles faiblesses rendent un gouvernement despotique inévitable.

De même l’économiste ne peut pas se contenter de décrire comment la richesse se produit et se distribue. Ce serait déjà une longue étude, beaucoup plus difficile que Say et ses disciples ne semblent le soupçonner, car il ne suffit pas d’étudier ce qui se passe dans un seul pays, et les modes de production et de distribution varient chez les différentes nations ; mais ce n’est là que la moindre partie de la tâche du véritable économiste : il faut qu’il montre aussi comment les hommes doivent s’organiser, comment ils doivent produire et distribuer la richesse pour qu’ils soient aussi bien pourvus que possible des choses qui constituent le bien-être. Et ce n’est là pas tout encore ; il faut qu’il cherche les moyens pratiques d’atteindre le but qu’il indique. Ainsi il trouve dans un pays des douanes intérieures de province à province ou des octrois arrêtant les échanges aux portes de toutes les villes ; se bornera-t-il à constater le fait, comme le ferait le naturaliste et comme le veulent Bastiat et Cherbuliez ? Évidemment non ; il montrera les résultats funestes de ces institutions, il en conseillera l’abolition, et il cherchera comment on pourra y parvenir. Habite-t-il un pays qui croit augmenter sa puissance et sa félicité en se faisant redouter de ses voisins par l’étendue de ses arméniens, il n’hésitera pas à démontrer qu’un peuple n’a aucun intérêt à en asservir d’autres ni même à les affaiblir, et qu’une nation ne peut vendre avantageusement ses produits les plus coûteux que si elle a des voisins riches en état de les payer. Les économistes eux-mêmes, M. Bastiat en tête, oubliant leurs définitions, n’ont-ils pas consacré toute leur énergie à conseiller et à réclamer l’abolition des tarifs protecteurs ? Se contentaient-ils d’observer et de décrire quand ils fondaient leur recueil le Free trade et qu’ils couraient de meeting en meeting pour entraîner l’opinion ?

Il existe entre les sciences naturelles et l’économie politique une différence fondamentale que l’on n’a pas assez mise en relief. Les premières s’occupent des phénomènes de la nature, forces fatales que nous ne pouvons que constater, non modifier. Les sciences morales et par conséquent l’économie politique s’occupent de faits humains, résultats de notre libre arbitre, que nous pouvons changer de façon à les rendre plus conformes à ce qu’exigent la justice, le devoir et notre bien-être. Aussi remarquez comme les naturalistes et les économistes agissent différemment. Les premiers voient les tremblemens de terre renverser les villes, les planètes se refroidir et perdre