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aurait plaisir à le suivre dans ces visites officielles au British Museum, où il démontra les beautés de l’établissement au lieu et place des professeurs, étonnés de sa science et de sa faconde. « Voilà, s’écrie Greville, l’homme tel qu’il est, c’est-à-dire un mélange surprenant d’incongruités morales, politiques et intellectuelles. » Ailleurs il rappelle ce mot bien connu : « c’est un Jupiter Scapin ; » mais parfois l’admiration reprend le dessus, et Greville se met à le considérer comme il étudierait une de ces raretés de la nature chez laquelle on découvre toujours quelque aspect nouveau, d’abord inaperçu.


« Dans le monde, dit-il, Brougham est tout esprit, vie, gaîté ; passant du grave au doux, du plaisant au sévère, toujours brillant au milieu des plus folles plaisanteries, se jouant de ces transitions rapides par lesquelles l’attention et l’imagination sont surexcitées ; amusant, instructif et jamais fatigant, s’élevant à la hauteur des plus grandes intelligences, familier avec les sujets les plus abstraits, accueillant en même temps les humbles prétentions des esprits médiocres et paraissant prendre à leurs études ou à leurs affaires un si vif intérêt, qu’il les surprend, les charme et les met parfaitement à l’aise. »


Durant la trêve amenée par la dissolution, les esprits commencèrent à se rassurer en Angleterre sur les agissemens de la France. Le gouvernement de juillet est parvenu à convaincre les puissances voisines de sa sagesse et de sa modération ; lord Grey lui-même confie à Greville qu’il est parfaitement satisfait de la manière dont le roi des Français observe les traités et maintient l’indépendance de la Belgique. Le cabinet anglais d’ailleurs a tout intérêt à rester en bons termes avec ses voisins. Les questions intérieures l’absorbent tout entier, et la grande préoccupation de la réforme l’oblige à une sage réserve.

L’opposition tory continue à tenir ses assises à Aspley-House, chez le duc de Wellington, où se concertent les moyens d’attaque. A l’une de ces réunions, nous voyons apparaître deux membres de la plus haute aristocratie, « ivres, non comme des gentilshommes, mais comme des portefaix. » C’est là un trait de ces vieilles mœurs anglaisés, qui vont en s’améliorant chaque jour, et le délicat Greville ne l’eût pas cité, si ce n’eût été déjà une exception de son temps. Quant à la conduite politique du duc de Wellington, devenu le chef de l’opposition, Greville lui reproche son obstination aveugle et ses étroits préjugés : « c’est, dit-il, un grand homme dans les petites choses et un pauvre homme dans les grandes occasions ; » il regarde sa tactique du moment comme « une de ses plus malheureuses bévues. »

Certes les chefs des différens groupes avaient tout intérêt à