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montrent le lac Erié et le Lac-Supérieur. Dès que nous eûmes dépassé les limites des roches métamorphiques du Massachusetts, dit le professeur, nous avons observé une végétation plus luxuriante ; cette vigueur est due aux dépôts de marne et de calcaire. Les plantes appartiennent en général à des espèces voisines de celles de l’Europe ; les pins sont assez rares dans la région, les érables, les ormes et les frênes en abondance ; les hêtres dominent au Niagara. En présence des chutes, Agassiz fait remarquer comment se ravinent les roches les plus tendres ; il prévoit le temps où, l’eau coulant sur une pente moins inclinée, les chutes perdront beaucoup de leur beauté ; il juge que dans un avenir lointain la rivière pourra s’élargir jusqu’à former un lac. Les voyageurs, ayant abordé à l’île des Chèvres, se réjouirent de trouver l’endroit abandonné à la nature ; bois marécageux, champignons et troncs pourris procurèrent aux entomologistes une belle moisson d’insectes. Plate et monotone, la rive méridionale du lac Erié n’inspire aucune idée riante, la traversée du lac Huron laisse une impression plus favorable. L’eau de teinte sombre, une immense ceinture de forêts affectent une sorte de majesté triste ; les pins couvrent les plus grandes surfaces, on sent le climat du nord. Des Indiens se livrent à la pêche ou tirent leurs canots sur la berge sans paraître prendre le moindre souci de la pluie qui tombe froide et pénétrante. Agassiz vint se mêler à ces Peaux-Rouges et acheter les poissons à sa convenance ; il aura le sujet d’une intéressante leçon. A défaut du steamer qu’il faudrait attendre une semaine, on loua un bateau monté par quelques Canadiens pour gagner le Lac-Supérieur ; après trois jours de navigation, on débarquait au Sault de Sainte-Marie.

Situé, vers l’extrémité du détroit, à la limite des États-Unis et du Canada, le Sault de Sainte-Marie est un pauvre village dont la population est des plus bigarrées. Trafiquans de passage, mineurs en quête d’emploi, Indiens et métis, réunis en cet endroit, ne connaissent d’autre occupation que la pêche et le jeu de boules ; personne ne cultive la terre. A voir le nombre effrayant des débits de liqueur, il est à présumer qu’on se désaltère souvent au Sault de Sainte-Marie. L’exploration du Lac-Supérieur devant être faite d’une manière toute scientifique, les voyageurs avaient à se pourvoir de bateaux. On s’assura d’une grande barque et de deux canots ; les hommes d’équipage étaient encore la plupart des Canadiens qui ne parlaient que la langue française. Les engins nécessaires pour la récolte des objets d’histoire naturelle, les attirails de campement, les provisions de bouche convenablement arrimées dans les embarcations, Agassiz et ses compagnons s’installèrent le mieux possible, et l’on mit à la voile. Au sortir du détroit de Sainte-Marie, la côte du Lac-Supérieur est basse et marécageuse, mais bientôt les yeux