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cercle subsistera, les faits en portent témoignage, paisible, heureux, suffisamment riche, offrant à tous ceux que révolte la condition de travailleurs gagés un refuge assuré où les attend l’indépendance, et où règne un esprit absolument opposé à l’esprit des compagnies ouvrières, des associations internationales. Celles-ci éternisent sous de faux semblans la dépendance du mercenaire en lui proposant pour but unique une pression sur le maître afin d’obtenir de plus gros salaires ; M. Nordhoff les considère, non sans raison, comme funestes à la prospérité générale et comme une cause inévitable de corruption en matière politique ; elles conduisent au mépris du droit, favorisent l’envie, la haine et la violence. Les trade-unions, devenues une puissance formidable en Angleterre et aux États-Unis, n’ont servi jusqu’ici qu’à désorganiser le travail : au contraire les sociétés communistes, existant depuis vingt-cinq, cinquante ou même quatre-vingts ans, et ayant toutes commencé avec de faibles ressources, donnent l’exemple d’une prospérité matérielle qui n’a d’égale que la considération morale dont elles jouissent. Le meilleur moyen de se rendre compte de cette différence est, croyons-nous, de suivre M. Nordhoff dans son voyage, de recueillir avec lui les renseignemens fournis par chaque commune et de comparer les systèmes mis en pratique par telle ou telle secte, ainsi que les résultats obtenus. Cette étude offrira d’autant plus d’intérêt à ceux que la force brutale, la tyrannie de l’argent, l’excessive confiance en soi-même, la fièvre du gain, si vivement peintes par M. Hepworth Dixon dans la Nouvelle-Amérique et depuis par Mark Twain dans l’Age doré[1], ont rendus, désireux de connaître les meilleurs côtés de la société américaine, l’âme de ce foyer immense où trouvent place tant de choses bonnes et mauvaises, grandes et puériles, que nous n’avons pu encore approfondir ou seulement soupçonner.


I

Les trembleurs (shakers) doivent être cités d’abord, puisqu’ils forment la plus ancienne et la mieux organisée des sociétés communistes : la cité-mère, Mount-Lebanon (Mont-Liban), fut fondée en 1792 et est encore florissante. Les trembleurs comptent dix-huit sociétés répandues dans sept états, et, comme chaque société renferme plusieurs familles, que chaque famille est, à proprement parler, une commune distincte, on peut dire qu’il y a en Amérique cinquante-huit communautés de shakers composant une population de 2,415 âmes. Le fond de leur croyance est une continuelle

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1875.