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et une quinzaine de témoins déposèrent contre lui, les uns l’accusant d’indifférence religieuse, les autres d’orgueil, de délicatesse pour la nourriture, de préférences déplacées, etc.. L’accusé, fort pâle et silencieux, écouta la tête basse pendant une demi-heure ce réquisitoire, qui fut ensuite relevé par M. Noyés. Celui-ci dit sa propre opinion concernant le jeune homme, et, sans atténuer aucun de ses défauts, rendit hommage à un triomphe qu’on l’avait vu remporter sur lui-même en consentant à se laisser remplacer par un autre auprès de la femme qu’il avait le tort d’aimer exclusivement, et qui allait mettre au monde un enfant de lui. — Cet aperçu des devoirs d’un perfectionniste peut se passer de commentaires.

La société est d’origine américaine, bien qu’elle compte quelques membres anglais. Son fondateur, qui la dirige encore, J.-H. Noyés, appartient à une bonne famille du Vermont. Né en 1811, il étudia d’abord la loi, puis la théologie, avec l’intention de devenir missionnaire. Un de ces revivals féconds en miracles, d’où semblent sortir en Amérique toutes les tentatives de réforme, le mit sur la voie d’un nouveau moyen de salut qui prit le nom de perfectionnisme. C’était en 1834. Il revint à Putney dans le Vermont, où son père était banquier, prêcha, écrivit dans cette ville, et réussit à épouser la petite-fille d’un membre du congrès, Henriette Holton, convertie à son étrange doctrine. En 1846, cette doctrine, ayant été proclamée ouvertement, souleva la populace au point que les nouveaux sectaires durent se retirer dans le comté de Madison, près de New-York. Là, ils commencèrent à vivre en communauté très pauvrement sur quarante acres de terre ; d’autres communautés de perfectionnistes se formèrent en différens lieux, mais furent englobées finalement par la colonie-mère d’Oneida. Wallingford seul garda une existence distincte, bien que dépendante. A force de courage et de persévérance, les disciples de Noyés surmontèrent les premières difficultés pécuniaires ; ils s’étaient adonnés, comme les shakers, à l’agriculture et à l’horticulture, sans préjudice néanmoins des fabriques, qui s’élevèrent peu à peu et furent bientôt renommées pour la supériorité de leurs produits. Aujourd’hui ils sont essentiellement manufacturiers.

En 1857, ils firent leur premier inventaire annuel et trouvèrent qu’ils valaient un peu plus de 67,000 dollars ; en 1874, ils valaient plus d’un demi-million de dollars, bien que leur nombre ne fût encore que de 283. Beaucoup d’hommes, par une aberration de jugement inouïe, ont amené avec eux leurs femmes et leurs filles. Les membres les plus âgés s’arrogent le droit de favoriser telle ou telle union, rapprochant autant que possible les jeunes gens d’un sexe des personnes plus mûres de l’autre. La propagation des enfans est