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organisé que la dépense ne peut pas être proportionnée d’une manière constante et dans tous les cas avec la recette. Les trains sont assujettis à une régularité parfaite : le public tyrannique leur demande des services de tous les instans, sans s’inquiéter de ce que coûtent ces services.

« L’industrie des chemins de fer, prise dans son ensemble au 31 décembre 1869, représentait un capital de 8 milliards 209 millions de francs, ayant produit 386 millions de francs, soit un revenu moyen de 4,71 pour 100[1]. » L’état figure par ses subventions et ses travaux dans le capital ci-dessus indiqué ; si l’on ne considère que le capital actions et obligations fourni par les compagnies, on calcule qu’il a reçu en moyenne 5,46 pour 100.

Ce grand fait donne, je le répète, à l’industrie des chemins de fer son caractère véritable, qu’il ne faut jamais perdre de vue ; elle représente éminemment un grand service public, elle fait partie de l’outillage national, et à ce titre on peut dire qu’elle relève essentiellement de l’état. Les forces financières et industrielles livrées à elles-mêmes ne lui auraient jamais donné ce caractère : elles se seraient très vraisemblablement concentrées sur quelques lignes exceptionnelles ; si elles se montrent aujourd’hui si impatientes d’étendre les réseaux, c’est parce qu’elles spéculent sur l’effet moral de leurs premières conquêtes et sur l’ignorance du public, qui est trop disposé à croire que l’avenir doit toujours ressembler au passé. On a essayé de faire une sorte de popularité à ce qu’on nomme les petites compagnies ; il semblerait qu’elles se soient donné la mission d’une providence destinée à réparer les oublis des compagnies anciennes, endormies dans l’égoïsme et le repos ; mais les petites compagnies n’ont qu’un but quand elles sont sérieuses : c’est de devenir de grandes compagnies en cousant bout à bout des tronçons arrachés de tous côtés à la complaisance du gouvernement et des conseils-généraux. N’est-ce pas la preuve qu’elles sentent parfaitement qu’il n’y a pas, sauf exception, de petit réseau viable ; qu’il faut grouper un ensemble de lignes pour que les bonnes fassent vivre les mauvaises ? Les puissans réseaux, ceux qui possèdent les grands thalwegs du commerce, n’ont pu croître et se développer qu’au prix de grands sacrifices ; ils ne donnent, je le répète, à l’ensemble des capitaux qu’ils absorbent qu’une rémunération peu supérieure au revenu le plus ordinaire du capital qui s’emploie en emprunts. Les réseaux parasites qui cherchent une place enchevêtrée parmi les anciens sont comme un poids mort qui veut s’attacher à une puissante machine.

  1. Rapport de M. Cézanne à l’assemblée nationale du 3 février 1873.