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III

On pense qu’il n’est pas facile de tirer de cette poésie sinon des leçons, du moins cette conception générale de la vie qui juge la valeur esthétique et morale des œuvres : non que nous prétendions restreindre le domaine de l’art à celui de la morale stricte ou borner la liberté du rêve aux nécessités de l’action, nous ne demandons à la poésie ni de prouver, ni même d’enseigner quelque chose ; encore ne faut-il pas que l’intention et la pensée en soient absentes. Ce n’est pas assez que le poète voie, ni même qu’il sente, — nous lui demandons quelque chose de plus que d’être un miroir fidèle de la réalité fuyante, et je ne sais si nos poètes s’en sont toujours assez souvenus.

Il en est un du moins dont on chercherait vainement à connaître les conclusions sur l’homme, sur le monde, sur la vie. Jamais virtuose du vers, sous la science du rhythme et les surprises de la facture, sous l’abondance et le pittoresque da mot, n’a peut-être dissimulé pire faiblesse de la pensée. Si M. Coppée n’était encore qu’un débutant, on s’en remettrait à l’avenir de lui apprendre le monde, au temps de donner à son vers cette plénitude de sens et cette maturité de réflexion qu’on ne saurait acquérir que de l’expérience personnelle de la vie ; mais il est depuis quelques années dans la force de son talent. S’il était de ces poètes encore dont chaque œuvre nouvelle marque un progrès sur eux-mêmes et vers une forme plus haute de la poésie, on pourrait l’excuser sur les tâtonnemens d’une originalité qui cherche dans quel sens elle produira l’œuvre maîtresse qui doit la placer à son rang ; par malheur le Cahier rouge n’est pas un progrès sur les Humbles, dont j’hésiterais à dire qu’ils fussent eux-mêmes un progrès sur les Intimités. Attendrons-nous les « travaux importans » que promettait M. Coppée dans une préface récente ? A quelles qualités M. Coppée doit-il donc le bruit qui s’est fait autour de son nom ? A son habileté de main sans doute, à son adresse de versificateur, à un talent curieux de donner en quatre vers aux sujets les plus vulgaires quelque chose du mordant de l’eau-forte. En voici un exemple :

C’est régate à Joinville. On tire le pétard,
Les cinq canots, trois en avant, deux en retard,
Partent, et de soleil la rivière est criblée.
Sur la berge, là-bas, la foule est assemblée,
Et la gendarmerie est en pantalon blanc.

A coup sûr, ce n’est pas là de la poésie ; sont-ce seulement des vers ? mais l’ensemble est d’un rendu surprenant. Ces sortes d’esquisses abondent chez M. Coppée, dont elles caractérisent la véritable, l’unique originalité. D’ailleurs il met au service de cette faculté de voir une langue non pas sans doute d’une correction classique, mais au moins d’une