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— Oui, toi. Je te dois conseil et protection jusqu’au moment où tu me diras : — Je connais ce jeune homme et il me convient.

— Ce moment-là arrivera peut-être ce soir ou demain matin. Je ne pense pas que ma tutelle soit de longue durée au train dont Philippe veut mener les choses.

— Vous croyez que je le connaîtrai ce soir ou demain ? Vous me supposez une intelligence que je n’ai pas.

— Ma chère, tu as une prétention à la bêtise qui est une pure coquetterie.

— Ah ? — fit Marianne, qui écoutait et examinait Pierre avec une curiosité plus marquée que de coutume, — dites toujours, mon parrain ! Expliquez-moi à moi-même, je ne demande qu’à me connaître. Je fais, dites-vous, semblant d’être bête, et je ne le suis pas ?

Pierre fut embarrassé d’une question si directe, et qu’il n’avait pas prévue. — Je ne suis pas venu pour te disséquer, répondit-il. Mon titre de parrain ne m’autorise qu’à te préserver des insultes du dehors. C’est de M. Philippe que tu désires que je te parle, tu te montres très curieuse de ce qui le concerne, toi si indifférente à toute autre chose. Eh bien ! je n’ai rien à te dire de lui, sinon qu’il est entreprenant, et résolu à te plaire par tous les moyens qui seront en son pouvoir.

— Il veut me plaire ? C’est donc que je lui plais ?

— Il le dit.

— Mais il ne le pense pas ?

— Je n’en sais rien ; je ne veux pas supposer qu’il ne te recherche pas pour toi-même.

— Qu’est-ce qu’il vous a dit de moi ? Il ne me connaît pas ! Il ne peut pas me trouver jolie.

— Il te trouve jolie.

— Il ne peut pas le penser, n’est-ce pas, mon parrain ? Dites, je vous en prie.

En questionnant ainsi André, Marianne avait pris une physionomie animée, résolue et craintive tour à tour ; elle avait rougi, son regard s’était rempli d’éclairs fugitifs. C’était une véritable transformation. Pierre en fut vivement frappé. — Tu l’aimes déjà, répondit-il, car te voilà jolie, et c’est lui qui t’apporte la beauté que tu n’avais pas !

— S’il m’apporte la beauté, dit Marianne, qui devint tout à fait vermeille de plaisir, c’est déjà un beau cadeau qu’il me fait et dont je dois lui savoir gré ! Je me suis toujours jugée laide, et personne ne m’a encore détrompée.

— Tu n’as jamais été laide, et je ne sache pas l’avoir jamais dit…