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règne. L’archiduc Charles, celui qui devait être bientôt Charles-Quint, ayant à prêter hommage au nouveau roi pour la Flandre et les autres fiefs relevant de la couronne de France, lui envoya une ambassade solennelle chargée de joindre à cet hommage une proposition d’alliance. L’archiduc Charles demandait la main de la princesse Renée, seconde fille de Louis XII, avec les duchés de Bourgogne et de Milan et 200,000 écus d’or comme dot. Le roi de France, à qui cette demande était faite, n’avait guère plus de vingt ans, l’archiduc en avait quinze. On sait que l’archiduc Charles était petit-fils de l’empereur Maximilien et de Ferdinand le Catholique ; François Ier, songeant aux nombreux états qui pouvaient un jour se réunir entre ses mains, a-t-il prévu dès lors une collision inévitable avec le prince, son vassal courtois aujourd’hui, demain peut-être le plus terrible de ses voisins ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en négociant les conditions de l’alliance, et après avoir repoussé, bien entendu, toute idée de cession de la Bourgogne et du Milanais, il lui arriva de dire : « Je sais qu’une rupture entre nous ne s’arrangerait pas aisément, et que la chrétienté entière s’en ressentirait. » Le traité fut conclu, un de ces traités qui ne répondent qu’à un intérêt du moment et dont l’avenir ne tient compte ; quant à la parole qu’on vient de lire, elle demeure acquise à l’histoire. Coïncidence singulière, la longue rivalité des deux puissans souverains est comme indiquée d’avance dans la demande du jeune archiduc et la réponse du jeune roi. Enlever la Bourgogne à François Ier et l’empêcher de conquérir le Milanais, c’est précisément le dessein que suivra la politique opiniâtre de Charles-Quint, mais ces choses ne pourront s’arranger aisément, la chrétienté entière s’en ressentira.

Ce n’est pourtant pas la conquête du Milanais par François Ier qui fera éclater la lutte. Au mois d’août 1515, François Ier franchit les Alpes, passe le Pô à Moncalieri, le Tessin à Turbigo, s’avance par Magenta vers le cœur du Milanais et prend position à Marignan. Là, on espère encore que les Suisses, défenseurs de Maximilien Sforza, vont retourner au service du roi de France, l’expédition serait finie, nous aurions le Milanais sans coup férir ; mais non, la négociation échoue, les Suisses arrivent, et la bataille s’engage. Il faut la lire dans le beau récit de M. Mignet. C’est un modèle de narration. Point de longueur, et cependant aucun détail essentiel n’est omis. Les incidens décisifs en cette lutte qui remplit deux journées, la part de chacun des chefs, le rôle du connétable de Bourbon, du duc d’Alençon, du Vénitien Barthélémy d’Alviano, de François Ier, la vigilance du jeune roi égalant son courage, ses dispositions si habilement changées pendant la nuit qui sépare les deux batailles, puis le lendemain ces grands efforts, ces élans irrésistibles, les colonnes suisses enfoncées par l’artillerie et les hommes