Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désespéraient pour de longues années ? On oublie aujourd’hui que, si le pays a offert sur-le-champ sa bonne volonté, si l’assemblée a rempli sous ce rapport, courageusement, patriotiquement son rôle t il y a un homme, M. Thiers, qui n’a jamais désespéré, et qui, assiégé de tous côtés, par la guerre civile, par l’invasion étrangère, par la détresse publique, a entrepris dès le premier jour la libération du sol national. Cette œuvre de libération, à peine considérée comme possible alors, elle s’est réalisée même avant le terme qui avait été fixé ! M. Thiers a dit simplement, résolument : Il faut payer. On a payé ! La France a retrouvé aussitôt tout son courage, elle a marché au signal qui lui était donné ; elle s’est résignée aux sacrifices qui lui ont été demandés. Il ne faut pas se laisser aller à un autre genre d’illusions et dire que la France porte légèrement son fardeau, qu’elle ne souffre pas : elle souffre certainement au contraire, elle sent le poids des impôts ; mais elle à tout accepté, tout subi sans se plaindre trop haut, sans avoir même la faiblesse de payer d’impopularité ceux qui lui imposaient des charges accablantes en augmentant avec un acharnement nécessaire toutes les contributions. Elle a offert le spectacle d’un état faisant honneur à toutes les obligations publiques, d’un commerce qui n’a jamais voulu profiter des désastres de la guerre pour se dérober à ses engagemens. La France s’est remise au travail, et si elle n’a pas tout réparé, s’il y a par trop d’optimisme à dire qu’elle a moins souffert que ceux à qui elle a payé cinq milliards, ou que les pays qui l’ont aidées dans les transactions financières de sa libération, il est certain qu’elle n’a point eu les crises économiques que d’autres ont essuyées dans l’opulence artificielle de la conquête. Si son budget n’est point exempt de tout déficit, elle peut suffire à tout par le mouvement naturel de sa richesse nationale, et en peu d’années, dans les conditions si étrangement aggravées qui lui ont été faites, elle en vient au point où les recettes publiques des six derniers mois dépassent de 50 millions les calculs budgétaires. Naguère encore des inondations désastreuses ont ravagé des régions entières, et on pouvait croire que les recettes de l’état s’en ressentiraient ; il n’en est rien, les revenus du mois de juillet révèlent un progrès normal, régulier, ils dépassent de 8 millions les prévisions du budget. On en pensera ce qu’on voudra, c’est un pays qui a de là ressource, et si l’on veut prendre confiance, on n’a qu’à mesurer le chemin parcouru depuis quatre ans en comparant la situation, telle qu’elle était au mois d’avril 1871, à la situation où nous sommes aujourd’hui.

La France a certes perdu beaucoup dans cette fatale aventure de 1870, elle a manqué sous bien des rapports ; son organisation militaire, son organisation politique, ont fait une sorte de faillite. Elle a gardé surtout deux forces qui à l’épreuve se sont trouvées à la hauteur de toutes les crises. Elle a été sauvée par la puissance réparatrice du