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critique, aux maîtres du goût qu’il convient de faire valoir les beautés de Racine, et d’entretenir parmi nous le culte de son inimitable génie. Nous nous contenterons de le considérer par l’endroit qui nous touche de plus près, en lui demandant non des leçons de goût, mais des leçons sur l’âme humaine, en lui empruntant des lumières pour enrichir le domaine de la philosophie.

On a souvent dit que la science psychologique est nécessairement incomplète lorsqu’elle se borne à l’observation purement interne. Chacun ne peut voir en soi-même que ce qu’il y a, et aucun philosophe n’est à lui seul le type complet de l’humanité. De là la nécessité d’ajouter à l’observation interne l’observation externe, de compléter et d’enrichir la théorie de l’homme par l’observation des hommes. De là chez tous les psychologues de nombreux renseignemens empruntés aux historiens, aux moralistes, aux poètes. Aristote, plus d’une fois dans sa Rhétorique ou sa Morale, emprunte aux tragiques grecs quelques expressions vives et profondes pour désigner fortement telle ou telle affection de l’âme. Les Écossais se sont aussi souvent servis des témoignages des poètes. Cependant, quoiqu’on ait souvent recommandé cette méthode, on ne paraît pas en avoir tiré jusqu’ici tout le parti possible. Ce sont des allusions, des citations, quelques souvenirs heureux jetés çà et là plutôt qu’une analyse exacte des poètes faite au point de vue psychologique. Il y aurait là une méthode qui mériterait peut-être d’être tentée, et Racine est de tous les poètes celui qui s’y prêterait le mieux.

Tout a été dit par les grands critiques sur la psychologie de Racine entendue au sens littéraire. Tous ont signalé dans Racine la beauté et la vérité des caractères, la profondeur des sentimens, l’étonnant pathétique des situations. Il n’y a rien à ajouter à ce qu’ont écrit La Harpe, Geoffroy, Sainte-Beuve, Nisard, Saint-Marc Girardin ; nous n’oserions nous engager à leur suite dans des études si délicates, qui demandent un tact et un goût si exercés. Non ; nous ne parlons ici que de la psychologie savante et abstraite, de celle qui, laissant de côté les situations particulières, ne recherche que des lois générales, et traite de l’âme humaine, selon l’expression de Spinoza, comme s’il s’agissait de triangles et de cercles. C’est à ce point de vue sévère et tout scientifique que nous nous demandons si les tragédies de Racine n’auraient pas quelque chose à nous apprendre.

Il faut d’abord circonscrire le champ de nos recherches. Tout le monde sait que l’âme humaine possède deux sortes de facultés : d’une part les facultés cognitives, de l’autre les facultés affectives et actives, — l’entendement et la volonté. Il n’est pas vraisemblable