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de résultats produits par deux esprits universels, par un démon qui veut son mal et une puissance qui veut son bien ; mais son démonisme aussi, comme le polythéisme, qui s’y mêlera, prendra l’empreinte de la tradition. La notion du Dieu chrétien suffira encore pour qu’au plus fort de ses terreurs le prince de l’air n’efface pas chez lui la foi en un être suprême dont l’essence est d’être saint, et pour que le démon et les sorcières lui apparaissent seulement comme de malins pouvoirs sous l’empire desquels on ne tombe que par un péché.

En résumé, le moyen âge a cru superstitieusement à son catholicisme comme il eût cru superstitieusement au bouddhisme ou au mahométisme. Il a été esclave et féroce parce qu’il avait peur du dérèglement qu’il sentait en lui-même ; il a eu horreur d’un hérétique comme d’un Briarée menaçant d’ébranler le ciel au-dessus de sa tête ; mais quant à la doctrine religieuse que l’homme barbare avait reçue du passé, elle a simplement contribué à tourner en partie son effroi contre lui-même, elle a forcé sa conscience du dérèglement humain à se changer par momens en remords personnels, en un désir épouvanté de trouver des expiations, des macérations qui pussent détourner de lui une malédiction méritée par son iniquité à lui ; et en tant qu’elle a eu ce résultat, — c’est-à-dire en tant que, grâce à elle, le barbare sans souci du vrai et du juste ne s’est pas contenté d’avoir peur de ses voisins et de désirer un pouvoir physique qui le protégeât contre ses voisins, sa religion l’a mis dans la voie du vrai progrès moral. Avant qu’il fût en état de sentir ce qui lui manquait réellement, elle a fait de lui un être que des craintes superstitieuses portaient déjà à user de ses facultés et de ses énergies pour chercher à s’amender lui-même. Toute la civilisation moderne, toute la part de libre action et de libre pensée que nous avons obtenue en apprenant à nous former nous-mêmes une idée de la justice et de la nécessité procède bien moins des douteurs du moyen âge que de ses aveugles croyans.

Des mots mal compris, cela semble bien peu de chose ; mais ici les mots s’appuyaient sur des institutions, et en réalité le mot Dieu des vivans a été le plus fort. Toutes les fausses idées que le moyen âge y avait attachées ont été l’une après l’autre réfutées par l’expérience. le mot au contraire est demeuré, et, à mesure que les esprits ont grandi, force leur a été d’employer leurs facultés nouvelles à le mieux comprendre. Le fait est que cette idée du Dieu des vivans, qui était sortie de la conscience juive, est positivement ce qui a triomphé même dans le domaine de la philosophie laïque et de la science physique. Pendant des siècles, — jusqu’à David Hume en réalité, — la raison moderne était restée plongée dans le