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ces vénérables reliques du passé, entassées sans ordre et sans soin, se détériorèrent en attendant que l’on en eût reconnu la valeur, ou bien des dépositaires infidèles les firent disparaître. L’industrie ne souffrit pas moins, faute de bras, parce que les hommes valides étaient aux armées, et faute de matières premières, car le crédit était restreint, les routes mal entretenues et les transports difficiles. De 3,000 métiers de toilerie que l’on comptait en 1791, il en restait 1,200 en activité en 1795. Une industrie disparut alors presqu’en entier, celle du tissage ; une autre, celle de la bonneterie, prit une grande extension dès que le calme se rétablit. Les villes, de même que les hommes, se transforment avec l’âge.

Le récit de M. Babeau se continue jusqu’en l’an 1800, au milieu d’événemens de peu d’intérêt. Les trois épisodes auxquels se borne notre étude caractérisent bien, ce semble, trois périodes distinctes : la situation instable de l’ancien régime, l’anarchie des pouvoirs qu’institue avec trop de hâte l’assemblée nationale, la désorganisation des autorités électives par des agens révolutionnaires. On s’étonnerait avec raison que le calme se fût ensuite rétabli tout d’un coup ; le désordre continue en effet pour ne s’éteindre que dans les premières années du consulat. Alors on revit sur le siège de Troyes un évêque institué par le pape, avec une circonscription diocésaine identique à celle du département ; alors une loi de l’an VIII créa l’organisation administrative qui subsiste encore aujourd’hui, avec des préfets, des sous-préfets et des maires, avec des conseils consultatifs aux divers degrés de cette hiérarchie. Après tant de bouleversemens, s’il restait encore au fond des choses beaucoup de traces de l’ancien régime, comme M. de Tocqueville l’a démontré, du moins les abus les plus graves avaient disparu. Combien devait être modifiée la vie sociale d’une ville de province d’où avaient disparu les corporations religieuses, le bailliage, les corporations de métier, qui tenaient tant de place auparavant, où la masse de la population, jadis à l’écart, s’était mêlée quelque temps aux affaires publiques avec plus d’ardeur, il est vrai, que de succès ! Dorénavant tous étaient égaux devant la loi ; le clergé s’était retrempé par la persécution ; l’acquisition par les bourgeois et par les paysans d’une immense quantité de biens ruraux inspirait le goût de l’économie aux classes laborieuses. Bien des hommes que leur foi monarchique ou religieuse avait jetés à la traverse des réformes avaient éprouvé sans doute de longues et pénibles souffrances dont le souvenir douloureux se conserve encore au sein des familles ; mais en somme si la révolution n’avait été nulle part plus cruelle que dans la capitale de la Champagne, on en aurait oublié bien vite les mauvais jours pour ne s’en rappeler que les bienfaits.


H. BLERZY.