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manifestée dans un moment d’heureuse inspiration par Alexandre Mikhaïlovitch ; mais on avait si éloquemment « maudit » les traités de 1815 dans le discours d’Auxerre, on avait annoncé avec tant de fracas « l’événement important » de Venise et fait illuminer Paris ! On tenait au prestige comme toujours, à la gloire de paraître en « Neptune de Virgile, » ne fut-ce qu’aux yeux des profanes, et puis on espérait plus, que jamais obtenir quelque bonne aubaine en obligeant encore une fois le « Piémont de la Germanie. » M. Benedetti reçut par conséquent l’ordre de se rendre au quartier-général en Moravie pour offrir à M. de Bismarck la médiation française, pour le « pressentir » également sur les avantages que dans son équité il ne pourrait guère manquer d’accorder au médiateur empressé.


II

Rien de plus curieux que le langage tenu par le ministre de Prusse à l’ambassadeur de France lors de ces premiers entretiens en Moravie. M. de Bismarck débuta par renouveler les fantaisies de Biarritz, et c’est un vrai Tilsitt au rebours qu’il se donnait l’air d’ébaucher dans ce quartier-général de Brünn : le fils de Frédéric-Guillaume III, du vaincu d’Iéna, semblait vouloir offrir au neveu de Napoléon Ier de partager le monde avec lui, de le partager au détriment de la Russie et de l’Angleterre ! « Il essaya de me prouver, mandait M. Benedetti à la date du 15 juillet, que les revers de l’Autriche permettaient à la France et à la Prusse de modifier leur état territorial, et de résoudre dès à présent la plupart des difficultés qui continueront à menacer la paix de l’Europe le lui rappelai qu’il existait des traités, et que la guerre qu’il désirait prévenir serait le premier résultat d’une pareille politique. M. de Bismarck me répondit que je me méprenais, que la France et la Prusse, unies et résolues à redresser leurs frontières respectives en se liant par des engagemens solennels, étaient désormais en situation de régler ensemble ces questions, sans crainte de rencontrer une résistance armée ni de la part de l’Angleterre, ni de la part de la Russie… » En d’autres termes, — et ces termes se trouvent également employés dans le rapport de JM. Benedetti, — le ministre de Prusse tenait « à s’affranchir de l’obligation de subir le contrôle de l’Europe » grâce à une entente séparée avec la France. Quant au moyen d’amener cette entente si précieuse, il était tout simple : la France n’avait qu’à chercher fortune le long de la Meuse et de l’Escaut. « Je n’apprendrai rien de nouveau à votre excellence, écrivait M. Benedetti à son chef quelques jours après de Nikolsbourg, en lui annonçant que M. de Bismarck est d’avis que nous devrions chercher