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rassurante pour la France, on se réservait déjà d’abandonner cette combinaison, d’en trafiquer « pour un prix convenable ! »

Qu’il était naïf cependant de croire qu’après Sadowa et Nikolsbourg, la ruine de l’Autriche consommée, l’Allemagne complètement soumise, toute intervention de l’Europe écartée et la faiblesse militaire de la France d’alors divulguée à tous les vents[1], on trouverait la Prusse accessible à des arrangemens qu’elle n’avait pas voulu prendre avant ses victoires immenses, au moment de ses plus grandes perplexités et au milieu des angoisses d’une crise que tout le monde s’accordait à proclamer périlleuse à l’extrême ! Encore le 8 juin, à la veille de la guerre, M. Benedetti retraçait ainsi qu’il suit les dispositions de l’opinion publique en Prusse à l’égard de la France : « Les appréhensions que nous inspirons partout en Allemagne subsistent toujours, et elles se réveilleront unanimes et violentes au moindre indice qui laisserait soupçonner notre intention de nous étendre vers l’est. Le roi, comme le plus humble de ses sujets, ne supporterait pas en ce moment qu’on lui fît entrevoir l’éventualité d’un sacrifice sur le Rhin. Le prince royal, si profondément pénétré des dangers de la politique dont il est le témoin, déclarait, il n’y a pas longtemps, à un de mes collègues, avec une extrême vivacité, qu’il préférait la guerre à la cession, ne fût-ce que du petit comté de Glatz…[2]. » Et c’est le même diplomate qui avait de telle manière apprécié la situation avant la campagne de Bohême, c’est ce même ambassadeur qui maintenant prit sur lui de présenter à M. de Bismarck les demandes du cabinet des Tuileries, qui alla jusqu’à lui soumettre le 5 août un projet de traité secret impliquant l’abandon à la France de toute la rive gauche du Rhin sans en excepter la grande forteresse de Mayence ! « En présence des importantes acquisitions que la paix assurait au gouvernement prussien, dit M. Benedetti, je fus d’avis qu’un remaniement territorial était désormais nécessaire à notre sécurité. Je n’ai rien provoqué, j’ai encore moins garanti le succès ; je me suis

  1. « Il se dit beaucoup trop depuis quelque temps que la France n’est pas prête. » Note confidentielle de M. Magne du 20 juillet (Papiers et correspondance de la famille impériale, t. I, p. 241). M. de Goltz avait pénétré ce secret de bonne heure et n’avait cessé de recommander à M. de Bismarck une attitude ferme à l’égard de la France.
  2. Ma Mission en Prusse, p. 171-172. — M. Drouyn de Lhuys, qui avait déjà obtenu de l’Autriche la cession, en tout état de cause, de la Vénétie, insistait à ce moment plus que jamais pour qu’on prit également d’avance des sûretés avec la Prusse, « la plus redoutable, la plus habile des parties. » M. Benedetti ne cessait de dissuader d’une pareille démarche, dans la crainte que la Prusse ne renonçât en ce cas à tout projet de guerre contre l’Autriche, et cette dépêche du 8 juillet n’était au fond qu’une nouvelle plaidoirie en faveur du laisser-aller sans condition qu’on devait accorder à M. de Bismarck.