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les inondations de la garonne.

teints ; mais il est des questions d’une importance réelle se rattachant aux causes ou aux conséquences de ces désastres, sur lesquelles on a trop légèrement glissé ou qui sont passées inaperçues. Me trouvant lors de l’inondation dans un vallon des Pyrénées, au centre du massif montueux où est venu s’abattre l’orage et d’où descendent les torrens qui ont porté leur ravage dans la plaine, j’ai été témoin des diverses phases de ce phénomène géologique, et peut-être, en racontant ce qui s’est passé autour de moi pendant ces longues heures de mortelles angoisses, pourrai-je compléter sur plusieurs points ce qui été dit à ce sujet, et fournir quelques nouveaux matériaux à ceux qui voudront retracer dans une vue d’ensemble la physionomie de ce grand drame.

I.

Disons d’abord que, si les cultivateurs de la plaine vaquaient à leurs travaux dans une sécurité complète, certains pressentimens s’étaient fait jour chez les populations pyrénéennes. La longueur ainsi que la rigueur exceptionnelle de l’hiver avaient accumulé d’immenses quantités de neige sur toute la chaîne. Une fonte subite amenée par les pluies d’été pouvait transformer soudainement ces masses en liquide et les jeter en quelques heures dans les vallées. Dès les premiers jours de mai, j’étais venu à Aulus-les-Bains, une de ces petites stations thermales de la Haute-Ariége où viennent se réfugier les malades et les touristes qui ne rencontrent plus au milieu de la foule bruyante de Luchon le calme et le repos des montagnes. Je me trouvai ainsi le confident des appréhensions que faisait naître l’état du ciel. Pour bien se rendre compte du prix qu’attachent les habitans des stations balnéaires aux variations de la température, il suffit de se rappeler que ces braves gens n’ont d’autre industrie que l’arrivée des étrangers, de sorte qu’une saison manquée équivaut pour eux à une ruine. Les pluies persistantes de juin avaient commencé à donner l’alarme. Un avertissement de M. Le Verrier, répété par les journaux du midi et annonçant de nouvelles perturbations atmosphériques, venait de redoubler les craintes. Cependant la pluie, qui, à vrai dire, n’avait eu jusque-là aucun caractère bien alarmant, s’était accentuée dans la journée du 22. Les pressentimens envahirent dès lors tous les esprits. Les étrangers qui commençaient déjà à peupler les hôtels partageaient ces inquiétudes. Dans la soirée du 22, la conversation roula exclusivement sur les éventualités qui semblaient se préparer, sans toutefois qu’on prévît les immenses désastres qu’on a eu à enregistrer ; aucun de nous n’y songeait. Notre horizon était plus restreint. Nous ne voyions généralement qu’une seconde édition de l’inonda-