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taire s’était concertée avec l’autorité municipale pour mettre les soldats de la garnison au service des ingénieurs.

Vers midi, la Garonne commençant de déboucher dans l’avenue de Muret, en amont du pont Saint-Michel, la rive gauche était entamée à son tour. La crue commençait à dépasser celle de 1855. Aussitôt les ingénieurs chargés de protéger le faubourg Saint-Cyprien organisent en toute hâte, avec l’aide de quelques détachemens de soldats, des digues pour défendre le faubourg. On prend tous les matériaux qu’on trouve sous la main, jusqu’au fumier. Mieux eût peut-être valu qu’on n’eût pas travaillé à ces digues, qui ne firent qu’aggraver l’inondation après l’avoir retenue seulement quelques instans. Les habitans, voyant arriver l’eau dès le début, auraient compris plus tôt la gravité de la situation et seraient sortis à temps de leurs demeures. À la même heure, des hommes parcouraient à son de trompe les rues du faubourg, prévenant les populations du péril qui les menaçait, de la nouvelle crue de la Garonne annoncée par les dépêches, et les exhortant à quitter au plus tôt leurs habitations. Très peu crurent devoir obéir à ces invitations pressantes. Le faubourg Saint-Cyprien n’avait été ravagé qu’une seule fois, le 17 septembre 1772, et personne n’avait souvenance de cette inondation. On ne la connaît que par une inscription sur marbre placée dans l’église Saint-Nicolas, et que nul ne songeait à lire. D’ailleurs à cette époque les quais de la rive gauche n’existaient pas encore, dès lors rien d’étonnant qu’à la suite d’une crue extraordinaire l’inondation eût gagné le faubourg. Pour prévenir le retour de ce désastre, la province du Languedoc fit construire les quais et les terrassemens que l’on voit aujourd’hui, et depuis cette époque Saint-Cyprien avait vu passer à ses pieds les plus grandes inondations sans être atteint. Celle de 1855 n’était-elle pas la plus extraordinaire du siècle ? et l’eau s’était arrêtée au-dessous du parapet du quai Dillon, élevé de près de 7 mètres au-dessus du niveau de la Garonne. D’ailleurs quitter à l’improviste une habitation n’est pas, surtout pour les pauvres gens, chose aussi facile qu’on se l’imagine. Les personnes riches n’ont qu’à ouvrir leur secrétaire et à mettre dans un portefeuille les valeurs qu’il contient. Elles peuvent faire le sacrifice du linge et du mobilier, elles savent qu’elles retrouveront tout cela facilement ailleurs. Il n’en est pas de même du petit artisan qui, vivant de son labeur quotidien, consacre toutes ses épargnes à l’acquisition de ses ustensiles de travail ou de ménage, de son vestiaire, de ses meubles, de ses marchandises, s’il est commerçant, Il ne peut quitter sa maison sans emporter ce qu’il a de plus précieux ; mais par où commencer, comment faire un choix ? Tous les objets qui sont autour de lui lui sont chers. Il hésite, il cherche, il perd ses instans à ouvrir les tiroirs, à empaqueter jus-