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Broglie est un constitutionnel conservateur de plus dans la république organisée sous la présidence de M. le maréchal de Mac-Mahon. Est-ce, comme on le dit, une « amende honorable, » un acte de résipiscence ? Pourquoi se servir toujours de ces mots malsonnans ? À quoi bon chercher un désaveu d’opinion ou une inconséquence dans ce qui n’est en définitive qu’une inspiration de la raison éclairée par l’expérience, ramenée par le cours des choses aux seules conditions possibles aujourd’hui ?

Non, M. le duc de Broglie n’a point eu à se désavouer, et peut-être au fond n’a-t-il pas changé autant qu’on le croirait. Il s’est remis au ton du pays, voilà tout. Il a cru un moment, et il n’a pas été le seul à le croire, que la monarchie constitutionnelle était la forme de gouvernement la plus désirable pour la France ; il a vu ce rêve s’évanouir par la faute des monarchistes eux-mêmes, il fait aujourd’hui sa paix avec la république du 25 février, parce que cette république ne lui paraît point sans doute incompatible avec la grandeur de la France, avec tous ses intérêts de sécurité intérieure ou extérieure. « Les lois changent, la France reste, » c’est son mot. Nous ne savons si au sortir du comice de Beaumesnil il s’est senti soulagé, et s’il a répété le liberavi animam meam. La vérité est qu’il a paru tout à fait avoir pris son parti ; il a exécuté courtoisement d’un tour de phrase les bonapartistes et les légitimistes, pour qui il a plus d’une fois bravé l’impopularité par l’excès de ses condescendances quand il était au pouvoir ; il s’est décidé probablement sans enthousiasme, et, une fois la grande résolution prise, il faut avouer que M. le duc de Broglie a parlé avec un certain abandon persuasif, sans apparence d’arrière-pensée, réparant au passage quelques oublis de ses précédens discours, réservant la possibilité d’alliances ou de combinaisons nouvelles, donnant à tous, prenant aussi un peu pour lui sans doute, ces conseils salutaires : « cessons donc de récriminer stérilement sur les institutions qu’on regrette et les institutions qu’on espère. Servons-nous activement de celles que nous avons… Laissons au temps son œuvre,.. » faisons la tâche de l’heure présente… Étouffons les voix discordantes qui voudraient nous affaiblir en nous divisant… »

On ne peut certes mieux parler, et le commentaire le plus favorable dont on puisse accompagner les lois constitutionnelles, ces lois « imparfaites, mais sages, » c’est de dire, comme M. le duc de Broglie, qu’avec elles, si on sait faire « un vigoureux effort de patriotisme et de courage, » on peut « éviter la triste alternative qui a deux fois affligé notre histoire, entre les horreurs de l’anarchie et les aventures du pouvoir absolu. » C’est là en quelque sorte la moralité de ce discours de Beaumesnil, par lequel l’éminent député de l’Eure et ses amis semblent rompre avec de vieilles solidarités de partis pour prendre résolument position sur le terrain de la république constitutionnelle. Ce que M. Léonce de Lavergne a fait dès le premier moment, M. le duc de Broglie le fait aujourd’hui. M. le duc