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REVUE DES DEUX MONDES

— Qu’est-ce qu’il y a de cette femme et de cet enfant ? dit le beau gendarme Érambert, attiré par les cris d’Emmi et les vociférations de la Catiche.

— Bah ! ça n’est rien, répondit le paysan qu’Emmi tenait toujours par sa blouse. C’est une pauvresse qui veut vendre un gars aux sauteurs de corde ; mais on l’empêchera bien, gendarme, on n’a pas besoin de vous.

— On a toujours besoin de la gendarmerie, mon ami. Je veux savoir ce qu’il y a de cette histoire-là. — Et s’adressant à Emmi : — Parle, jeune homme, explique— moi l’affaire.

À la vue du gendarme, la vieille Catiche avait lâché Emmi et avait essayé de fuir ; mais le majestueux Érambert l’avait saisie par le bras, et vite elle s’était mise à rire et à grimacer en reprenant sa figure d’idiote. Pourtant, au moment où Emmi allait répondre, elle lui lança un regard suppliant où se peignait un grand effroi. Emmi avait été élevé dans la crainte des gendarmes, et il s’imagina que, s’il accusait la vieille, Érambert allait lui trancher la tête avec son grand sabre. Il eut pitié d’elle et répondit : — Laissez-la, monsieur, c’est une femme folle et imbécile qui m’a fait peur, mais qui ne voulait pas me faire de mal.

— La connaissez-vous ? n’est-ce pas la Catiche ? une femme qui fait semblant de ce qu’elle n’est pas ? Dites la vérité.

Un nouveau regard de la mendiante donna à Emmi le courage de mentir pour lui sauver la vie. — Je la connais, dit-il, c’est une innocente.

— Je saurai de ce qui en est, répondit le beau gendarme en laissant aller la Catiche. Circulez, vieille femme, mais n’oubliez pas que depuis longtemps j’ai l’œil sur vous.

La Catiche s’enfuit, et le gendarme s’éloigna. Emmi, qui avait eu encore plus peur de lui que de la vieille, tenait toujours la blouse du père Vincent. C’était le nom du paysan qui s’était trouvé là pour le protéger, et qui avait une bonne figure douce et gaie. — Ah çà, petit, dit ce bonhomme à Emmi, tu vas me lâcher à la fm ? Tu n’as plus rien à craindre ; qu’est-ce que tu veux de moi ? cherches-tu ta vie ? veux-tu un sou ?

— Non, merci, dit Emmi, mais j’ai peur à présent de tout ce monde où me voilà seul sans savoir de quel côté me tourner.

— Et où voudrais-tu aller ?

— Je voudrais retourner dans ma forêt de Cernas sans passer par Oursines-les-Bois.

— Tu demeures à Cernas ? C’est bien aisé de t’y mener, puisque de ce pas je m’en vas dans la forêt. Tu n’auras qu’à me suivre, j’entre souper sous la ramée, attends-moi au pied de cette croix, je reviendrai te prendre.