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jeune homme avait blessés de ses railleries affectèrent de s’indigner. N’était-ce pas un scandale de voir un jurisconsulte, un Romain, le fils d’un centurion consulaire, remplacer la noble toge par le petit manteau des Grecs ? À ces attaques, qui durent être violentes, Tertullien répondit par un traité spirituel et piquant, mais « plein de rhétorique et de lieux-communs » comme le premier. Il y accumule, pour se défendre, les souvenirs d’une érudition très profane, et allègue par exemple, à propos de son changement d’habit, l’histoire peu édifiante d’Hercule et d’Omphale. Quand on lui reproche le dessein qu’il a formé de s’éloigner des affaires publiques, il se contente de répondre : « Épicure et Zénon, ces deux grands maîtres, ont fait profession de vivre comme moi. Quel droit avez-vous de reprendre chez moi ce que vous louez chez eux ? » Voilà des autorités dont il n’aurait guère aimé à se servir quelques années plus tard. Un peu plus loin, il ajoute que, quoiqu’il ne prenne point part aux affaires de son pays, il n’en est pas moins utile à ses concitoyens. « Toutes les fois, dit-il, que je me rencontre en un endroit un peu plus élevé, près d’un autel, je monte quelques marches et ne manque pas d’ouvrir la bouche. Mes discours ne chatouillent pas les oreilles, ils n’éveillent pas la curiosité et ne font pas rire les auditeurs : c’est affaire aux orateurs et aux charlatans. Je montre à ceux qui m’écoutent leurs défauts et leur apprends comme il faut vivre. » Il a tort de prétendre qu’il ne fait rien pour plaire aux curieux ; sa prédication, dont il nous trace une esquisse, se compose de petits tableaux égayés par des anecdotes piquantes. La gourmandise l’amène à parler d’Hortensius, qui fit servir le premier un paon à son dîner pontifical, la débauche le fait souvenir d’Antoine et de ses orgies chez Cléopâtre, la cruauté lui rappelle ce Védius Pollion qui nourrissait ses poissons de chair humaine. C’est tout à fait la manière dont s’expriment les moralistes païens ; nous reconnaissons leurs argumens, leurs exemples, et jusqu’à leur style : l’auteur ne dédaigne pas d’employer souvent ce tour épigrammatique et subtil dont on se servait depuis Sénèque pour faire des leçons aux gens du monde. Le chrétien ne se montre entièrement que dans les dernières lignes du traité. « Manteau, dit l’auteur, c’est à toi que je parle maintenant. Tu pensais seulement couvrir les sectateurs de Zénon et d’Épicure, sache que tu couvres les chrétiens, qui sont les disciples du fils de Dieu. La philosophie que cet incomparable maître leur a enseignée est toute divine, et celle de Zénon et d’Épicure purement-humaine, c’est-à-dire défectueuse et pleine d’erreurs. Si tu es susceptible de quelque sorte de joie et d’allégresse, en voilà le plus grand sujet que tu puisses avoir. Fais donc paraître ta joie au dehors et montre à tes ennemis leurs injustices. Ils n’ont plus rien à te