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de soins et d’attention pour les clavigères ; . à ces pauvres créatures, elles donnent la becquée. L’œuvre, il est vrai, n’est pas désintéressée. Les poils des petits coléoptères s’imprègnent d’un liquide visqueux et sucré fourni par des glandes ; avides de cette matière, les fourmis se délectent à lécher les poils qui en sont enduits. Elles trouvent avantage à nourrir et à soigner de véritables animaux domestiques. Il est assez ordinaire de rencontrer des clavigères chez certaines fourmis ; pourtant on voit des nids où il n’en existe aucun. L’observateur s’avisa d’en mettre dans ces habitations, au dépourvu. Il croyait que le présent serait agréable ; il n’en fut rien. Les fourmis, fortement intriguées à la vue de ces étranges créatures, cherchaient en vain l’usage qu’on en pouvait faire. Elles tâtaient, retournaient les pauvres insectes, et enfin, les considérant comme des bêtes inutiles, elles les tuaient en les coupant avec leurs mandibules. L’expérience est curieuse ; elle prouve que les individus s’instruisent, et que, sans une sorte d’éducation reçue de leurs semblables, ils se montreraient inhabiles dans l’accomplissement de certains actes.

Des coléoptères agiles de la famille des staphylins, dont les élytres laissent à découvert l’extrémité postérieure du corps, habitent les fourmilières, ce sont les loméchuses[1]. Mieux partagés que les clavigères, ils sont d’humeur vagabonde. Clairvoyans, pourvus d’ailes, ils sortent des. nids, mais ils sont bien forcés d’y revenir ; lorsque la faim les presse, ils n’ont pas d’autre ressource. Incapables de prendre eux-mêmes leur nourriture, ainsi que Lespès l’a constaté, ils la demandent aux fourmis. Celles-ci ne refusent pas de rendre un bon office à des créatures qui ont quelque chose à donner. Les loméchuses sécrètent une matière sirupeuse que retiennent des bouquets de poils placés sur les côtés de l’abdomen, Les poils se trouvant cachés par les organes du vol, le coléoptère écarte ses ailes pour que la fourmi puisse lécher la liqueur. Pareille entente de la part de deux êtres n’ayant aucune parenté est vraiment un des traits les plus curieux de la vie des animaux. Le croirait-on ? il y a des fourmis qui ne savent pas manger. Les fameuses amazones, qui prennent des esclaves pour élever les larves, sont dans l’obligation de solliciter de ces mêmes esclaves leur propre nourriture, et de la recevoir de la bouche à la bouche.

Près des rivages de la Méditerranée, sur les terrains o£ le soleil darde ses rayons sans rencontrer d’obstacles, — les garrigues, suivant l’expression, consacrée, — habitent de vigoureuses fourmis qu’on nomme les attes. Celles-ci se distinguent au premier coup d’œil par le premier anneau de l’abdomen, qui forme deux nœuds au lieu d’un seul comme chez les fourmis ordinaires ; elles ont une grosse tête

  1. Ces insectes ont environ 5 millimètres de long.