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et rien de plus. Cette expérience, grosse de tant de prétendue philosophie critique, pourquoi ne l’a-t-il pas renouvelée ? car, somme toute, la symphonie avec chœur n’est point son chant du cygne, les derniers quatuors sont venus après, et, lorsqu’il est mort, il méditait une dixième symphonie et une grande ouverture. Singulière manie de vouloir toujours associer à ces tendances d’avenir le représentant le plus direct de la musique instrumentale absolue, un maître qui, sans jamais sentir le besoin de s’aider de la parole, évoque des profondeurs de son orchestre ou de son clavier des mondes de poésie et dont l’unique opéra qu’il ait écrit, Fidelio, est encore une symphonie ! On s’obstine à nous représenter la musique comme un corps harmonique, un simple corps auquel la poésie ou mieux le texte littéraire donne l’âme, erreur complète : la musique a son âme bien à elle, sa poésie qui lui est propre, — j’entends ici la bonne musique, car, pour la mauvaise, qu’elle soit instrumentale ou dramatique, il est très certain que celle-là n’a point d’âme.

D’ailleurs cette alliance de l’élément métrique avec la mélodie, les Grecs déjà la connaissaient. Dans la tragédie d’Eschyle et de Sophocle, la musique a sa part, une part active et puissante, je veux bien le croire ; maintenant ce qu’était la nature de cette musique, on ne nous l’apprend pas, et pour cause. Même après les récentes découvertes de la science, il serait fort difficile de rien établir de catégorique sur ce point. Nous savons que les Grecs ignoraient les lois de la polyphonie moderne, qu’ils n’avaient aucun sens de notre harmonie, et que leur musique, vivant surtout de rhythme, avait pour principal objet d’accompagner le dialogue ou le récit et d’en augmenter le pathos, emploi fort secondaire assurément et qu’on pourrait comparer, ce semble, au rôle que jouait la peinture appliquée à la statuaire. De ce que Phidias et Praxitèle teintaient leurs marbres d’enluminures harmoniques, on n’en a pas conclu, du moins jusqu’à présent, que la statuaire et la peinture ne formassent chez les Grecs qu’un seul art. Tout porte à supposer qu’il n’en devait pas être différemment des services que la musique rendait à la tragédie d’Eschyle ou de Sophocle. Les temps n’étaient pas venus, et la poésie, alors à l’apogée de ses ressources, ne pouvait que prévaloir sur un art encore si imparfait. Or cet état de choses mit des siècles à se transformer. Comme les autres arts, la musique eut un jour, elle aussi, sa renaissance en Italie. Seulement cette résurrection, ce retour à l’idéal, qui, pour la poésie et la peinture, Vêtaient manifestés dès le XIVe siècle, nous ne les voyons pas se produire pour la musique avant le début du XVIIe siècle ; mais alors sous quels auspices favorables 1 Les grands poètes, les grands peintres, ont disparu de la scène, et c’est désormais au musicien, dont les ressources se sont accrues et complétées avec le cours des