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d’abord inspiré leur pinceau, ou ces beaux types de dieux antiques qui leur rappelaient les merveilles de leurs maîtres. Tertullien s’en indigne, et quand l’artiste coupable allègue pour se défendre que, s’il peint des idoles, au moins il ne les adore pas, le sévère docteur lui répond : « Je soutiens que tu les adores, toi par qui seul elles existent pour être adorées. Tu es pour les faux dieux bien plus qu’un prêtre, puisque c’est par toi qu’ils trouvent des prêtres ; c’est ton travail qui fait leur gloire. Tu prétends ne pas adorer les dieux que tu fais, mais ils te reconnaissent pour leur adorateur, eux à qui tu immoles la plus riche, la plus grasse des victimes, en leur sacrifiant ton salut. » Il ne paraît pas que cette violente indignation fût partagée par la communauté chrétienne, puisque Tertullien nous dit lui-même que quelques-uns de ces artistes furent élevés au sacerdoce, sans renoncer à leur métier. C’est la preuve que dans les arts du dessin et dans la sculpture ce mélange du sacré et du profane ne causait plus beaucoup de scandale, et que les croyances nouvelles consentaient à s’aider des souvenirs de l’art antique.

Il en fut bientôt de même dans les lettres. L’école africaine, qui avait donné Tertullien au christianisme, ne tarda pas à s’éloigner des doctrines de ce maître rigoureux. Quoique saint Cyprien se glorifie d’être son élève, il ne l’imite pas dans ses exagérations. Il est en toute chose pour les opinions moyennes. Il tient à bien écrire, et montre qu’il a pratiqué Sénèque et Cicéron. Dans un de ses traités les plus agréables, la Lettre à Donatus, il s’est plu, comme Minucius, à imaginer un entretien, et n’oublie pas non plus de nous dépeindre le lieu de la scène. C’est un beau jardin d’où la vue s’étend sur un horizon qui réjouit les yeux (oblectante obtutu oculos amœnamus), et les personnages ont soin de se placer sous un berceau a où la vigne forme un portique verdoyant avec un toit de feuilles. » Les successeurs de saint Cyprien, Arnobe et Lactance, vont plus loin encore. Ce sont tous les deux des professeurs qui ont longtemps enseigné la rhétorique et qui s’en souviennent. Ils appartiennent à cette école de théologiens complaisans dont j’ai parlé, qui voulaient montrer que la philosophie ne devait pas être l’ennemie du christianisme, qu’elle l’avait pressenti et préparé et qu’il fallait trouver quelque moyen de les unir ensemble. Lactance surtout est prêt à lui faire toute sorte d’avances et de concessions. On sait que dans l’antiquité les sectes philosophiques différaient surtout entre elles par leur manière de définir le souverain bien. Lactance reprend ces définitions diverses, montrant qu’elles sont toutes inexactes et incomplètes ; puis il arrive à celle qu’a donnée le christianisme, qui consiste à dire que le souverain bien est la contemplation de Dieu, et prouve qu’elle est la seule véritable. De cette