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littérature où se déploie une fantaisie artificielle qui joue avec tout, avec la vérité, avec les sentimens les plus simples, avec l’histoire, prenant une antithèse pour une sublimité, résumant une révolution dans un mot. Cette fantaisie crée des êtres humains qui ont l’inconvénient de n’être ni vivans ni vrais. C’est une littérature d’artifice et de jeux d’imagination qui peut éblouir un instant ou amuser un monde oisif, et remarquez bien que cette liberté de l’art et de la fantaisie n’est point de nature à effaroucher un régime absolu qui n’a rien à craindre que des idées et des sentimens vrais, seuls faits pour relever l’âme et l’esprit d’une nation.

Un autre caractère de cette littérature qui a inventé elle-même un mot pour se désigner, qui s’est appelée fantaisiste, c’est l’invasion d’un réalisme outré, subalterne. Que des talens éminens au théâtre ou dans le roman aient cru et croient encore qu’une des conditions de l’art c’est de reproduire avec fidélité, avec sincérité, les mœurs, la nature, les nuances de la vie intime ou sociale, rien de mieux ; mais ceci n’est qu’une vérité de tous les temps retrouvée bien plus que découverte par l’école de la restauration. On ne s’est point arrêté là, ce qu’il y a eu de caractéristique, c’est un réalisme violent, vulgaire, souvent licencieux, faisant du roman une photographie des passions, des vices, des sensualités, des incohérences de la société française. On est arrivé de Balzac à M. Zola, de Colomba et de Mauprat aux romans de M. Feydeau, comme on est allé d’Hernani ou de Mlle de Belle-Isle à Orphée aux enfers ou à la Grande-Duchesse, comme on est allé des sérieuses et fortes polémiques d’autrefois aux petits journaux, école de banalité bruyante et de scandale. C’est la littérature d’un régime qui a eu quelques bonnes fortunes politiques moins par son habileté que par des accidens heureux, qui a favorisé le commerce et l’industrie, je n’en disconviens pas, mais qui a pendant longtemps fondé sa sécurité sur la dépression des intelligences, sur le déchaînement des instincts de bien-être et de jouissance matérielle, sur la liberté des mœurs et des goûts.

Époque étrange, on en conviendra, où M. Vacherot et Prévost-Paradol allaient en prison, mais où les souverains se délassaient à la lecture de Rocambole dans leurs villégiatures, et où pour dernier trait Sainte-Beuve, celui-là même qui avait engagé autrefois une si vive campagne contre le faux goût, en venait à faire fête à Fanny dans le journal officiel ! Entre deux révolutions, au milieu des somptuosités et des fascinations modernes, c’était une sorte de XVIIIe siècle renaissant avec ses étourderies, ses libertinages, ses scandales de société, ses traitans, ses jeunes écoles sceptiques, ses philosophies matérialistes et ses petits journaux promenant la nouvelle à sensation. — Quoi donc ? direz-vous, si tout marchait ainsi, c’est